Aujourd’hui, en ce mercredi 26 octobre 2011, les négociations de la dernière chance pour l’avenir de l’Europe et de l’euro auront lieu.
Alors que les européens ont montré leur incapacité à agir rapidement, et étalé sur tous les devants du monde leurs problèmes de gouvernance, alors que les banques européennes, notamment françaises, ne peuvent quasiment plus emprunter de dollars sur les marchés US (les banques américaines leur ferment la porte), alors que la contagion de la crise de la dette à l’Italie se confirme, les négociations qui auront lieu aujourd’hui sont absolument cruciales : un échec, qui malheureusement ne peut être exclut, propulserait la zone euro vers des terres réellement inconnues, et sans doute, de façon irréversible.
Ces négociations, en outre, doivent impérativement aboutir ce soir, ou tout au moins, avant les sommets du G20 prévu les 3 et 4 novembre 2011, destinés, quant à eux, à donner une réponse coordonnée, au niveau mondial, à la crise des dettes d’États, qui menace d’emporter le système financier occidental.
C’est un trait permanent, depuis le début de la crise, que l’ensemble des propositions pour sauver durablement l’Europe sont françaises. Nous avons déjà bien analysé les problèmes (cf. nos précédents lettres, sur notre site), je vous propose cette fois-ci, d’essayer de comprendre la proposition française de solution pour leur résolution durable. Voici donc, pour éclairer peut-être, ce que je comprends du plan ambitieux de l’équipe sarkozyenne pour sauver l’Europe – en rappelant que ce plan reçoit l’assentiment de 14 États européens sur 17, des USA, des pays émergents – presque seule, l’Allemagne continue de s’y opposer, de l’amender, et de le ralentir.
Le plan «Sarkozy» pour l’Europe
Si on réfléchit, la crise actuelle des finances publiques européennes a deux causes économiques majeures, auxquelles la France souhaite apporter deux réponses distinctes :
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L’euro, un facteur structurel de divergence économique et budgétaire (et non de convergence)
Une devise représente toujours un rapport complexe entre la richesse d’un pays (PIB), son endettement, et sa croissance.
Or, l’euro, comme monnaie commune à plusieurs pays, a un statut particulier : l’euro est une monnaie moyenne entre la situation de l’Allemagne d’un coté, et de la Grèce à l’autre bout de la chaine. Autrement dit, l’euro est une monnaie surévaluée pour les pays « fragiles », et une monnaie sous-évaluée pour les pays dont l’économie est solide.
Cela signifie que l’euro creuse structurellement le déficit commercial des économies fragiles de l‘Europe, c’est-à-dire de tous les pays européens, excepté l’Allemagne.
Ainsi, l’euro creuse le déficit commercial des pays fragiles, pèse structurellement sur leur compétitivité, et donc sur leurs recettes fiscales, condamnant ces pays (de la Grèce à la France !) à se financer par un endettement public toujours plus important, et suicidaire à terme.
Au contraire, l’euro est sous-évalué pour l’Allemagne, dont la solide économie est tournée vers l’exportation. L’Allemagne profite donc à l’export d’un excédent de compétitivité (dont elle n’a pas besoin, et qui la met structurellement en risque inflationniste), ce qui dope encore sa croissance, et ses recettes fiscales. Dumping monétaire.
Donc, l’euro avantage les pays fort, et pénalise structurellement les pays faibles.
Il n’y aura pas de réponse durable à la crise sans la résolution de ce problème : en cas d’absence de réponse sur ce point, la situation présente se reproduira inévitablement dans de très courtes années.
Réponse française
Pour reformer cela, il faudra du temps, beaucoup de temps et de l’argent. Il sera nécessaire de réellement faire converger la compétitivité des économies européennes – ce qui prendra une décennie. Pour avoir ce temps, nécessaire aux reformes de convergence économique, et pour disposer de l’argent nécessaire à éviter les effets en chaines de faillite(s) d’État(s) pendant ce travail, il est nécessaire de transformer le fond Européen de Stabilité Financière (FESF) en banque, pour permettre à la banque centrale européenne (BCE) de la financer par des injections de liquidités (création monétaire). Il faudrait même permettre à la BCE de prêter directement aux États européens, en créant de la monnaie, en dernier ressort, et en maintenant des taux bas pour ceux-ci.
Ces financements potentiellement illimités par la BCE (illimités, car émanent de la planche à billet) ont pour unique limite l’inflation. Or, en période de forte sous utilisation des capacités de production, de fort chômage, de raréfaction de la liquidité (cf. crise de liquidité actuelle sur les marchés interbancaires), en présence d’une croissance en quasi-nulle (y compris en Allemagne), le risque inflationniste est nul à ce jour et pour longtemps.
En outre, seul leur caractère potentiellement illimité permettra de mettre un coup d’arrêt à la spéculation des banques, à la fois contre elles-mêmes et contre les dettes d’États…
Ensuite, une fois assuré ce financement illimité par la BCE et la planche à billet, il faudra faire, au niveau européen, converger les économies réelles, les finances publiques, les fiscalités des différents pays européens, pendant la décennie à venir afin de «corrige» l’effet structurellement divergent de l’euro. Im-men-se tâche, mais dont aucun européen sérieux ne pourra faire l’économie.
Mais la croissance globale des pays développés, et en particulier la croissance européenne est structurellement trop faible pour supporter ce désendettement des États. Il est absolument impératif de relancer la croissance économique européenne, mais sans endetter plus avant les États.
Essayons de comprendre d’où provient cette croissance structurellement faible des pays développés. Il s’agit de la deuxième cause fondamentale auquel veut répondre le plan de la France pour l’Europe.
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Le différentiel de croissance entre les pays émergents et les pays développés depuis 1998
Les États des pays émergents, chine en tête, depuis la crise sino-russe de 1998, n’ont plus accès au marché du crédit. Ainsi, ils se sont orientés, depuis cette époque, vers un modèle économique tourné vers l’exportation en masse (fort excédent commercial des émergents, auquel répond le fort déficit commercial de l’occident, consommateur invétéré), un modèle tourné vers l’accumulation de réserves de changes (fin 2006, les banques centrales des BRIC possédaient 70% des réserves de changes mondiales), et ont mis en place un système budgétaire autofinancé.
Ces déséquilibres entre les pays émergents et l’occident n’aurait pu durer, si les émergents n’y avaient contribués en prêtant leurs réserves de changes aux États développés, pour permettre à ces derniers d’acheter leur produits, et donc de financer leur déficit commercial par une accumulation permanente de dette publique.
C’est ce cycle, qui dure depuis près de 15 ans, qu’il faut « casser » impérativement début novembre 2011 au plus tard…
Et le moment est opportun : en effet, depuis le début de la crise de 2007 en particulier, les pays émergents ont compris que la consommation assoiffée des pays occidentaux allait s’arrêter durablement (en raison de la crise que nous traversons, qui consiste exactement en le dégonflement de la bulle du crédit). Et ces émergents sont donc en train de se recentrer sur la solvabilisation de leur population intérieure, et sur le développement de leur consommation intérieure.
Si les chinois produisait pour notre consommation, nous voyons ces rapports s’inverser lentement : et on voit tendanciellement la Chine importer de plus en plus de produits occidentaux pour leur consommation, et la part des exportations chinoise diminuer progressivement, lentement mais surement.
Ainsi, ces pays vont être susceptibles de devenir des débouchés pour nos économies en mal de croissance.
En outre, le cash immense dont dispose les émergents pourrait être investis : en effet, un de freins actuels à la croissance occidentale consiste en ceci que, les entreprises regorgent de cash (tant aux USA qu’en Europe), cash qu’elle rechignent à investir tant l’incertitude est grande sur les dettes d’États.
Or, si un financement sans limite par la BCE des dettes europeennes était mis en place, les incertitudes sur les faillites d’États européens seraient levées à court terme et les émergents pourraient investir de façon productive au sein des pays occidentaux en ayant un effet d’entraînement sur l’investissement privé occidental, et donc sur notre croissance.
De tels investissements des pays émergents notamment permettraient de résoudre la quadrature du cercle : créer un surplus de croissance sans endettement publique supplémentaire (chose que nous n’avons jamais su faire depuis la seconde guerre mondiale).
Réponse française
Ces discussions avec les émergents se passeront au G20, les 3 et 4 novembre 2011. Elles devraient aboutir, sauf opposition de l’Allemagne au financement des dettes européennes par la BCE, naturellement… Une telle volonté concertée suppose de permettre aux émergents de « protéger » leurs devises contre les injections sauvages de liquidités (notamment USD) : or ce droit a l’intervention leur a été reconnu au dernier G20, sur proposition française encore une fois. Il s’agit sans doute là d’un premier pas vers la convertibilité de la monnaie chinoise.
Donc, voici les objectifs qui seront poursuivis par la France lors des deux réunions cruciales à venir :
Objectif du sommet de ce mercredi : sécuriser durablement l’approvisionnement en liquidité et les taux d’intérêts de tous les États européens – par la transformation du FESF en banque et en permettant son financement par la BCE ; et « imposer » aux États de se commencer leur désendettement (l’Italie, par exemple, à deux doigts de sombrer dans la crise de la dette, s’est vue imposer par l’Europe le report immédiat de l’âge de départ en retraite à 67 ans dimanche dernier, au risque d’une crise gouvernementale en Italie).
Cette rigueur budgétaire pèsera sur la croissance : et c’est sur cette question de la croissance qu’intervient la réunion suivante…
Objectif du G20 de début novembre : organiser un « plan coordonné » d’investissement des pays qui ont des forts excédents commerciaux et d’importantes réserves de changes (émergents notamment), pour permettre aux autres États, endettés, de mettre en oeuvres leurs politiques de restrictions budgétaires et leur désendettement. Sans se retrouver à court de croissance…
Il s’agit d’un plan sérieux et ambitieux d’un pro-européen convaincu, qui se heurtera, à n’en pas douter, aux exigences nationales de certains États – notamment l’Allemagne.
Premières réponses dans quelques heures. Nous ne pouvons raisonnablement exclure aucun scénario.
Nos portefeuilles
Nous restons en position très défensive sur l’ensemble de nos portefeuilles, en attendant de connaître l’issue de ces discussions.