La Petite et la Grande Alternance

01 février 2011
13 min de lecture
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Le mois de janvier 2011 a surpris de nombreux investisseurs par une brutale et rigoureuse inversion de perspectives – que nous appelons ici, « la petite alternance ». Toutefois « la grande alternance », c’est-à-dire le transfert du centre de la croissance mondiale, des pays développés vers les nouveaux pays émergents, reste plus que jamais d’actualité.

La Petite Alternance

Europe versus USA et pays émergents

Durant toute l’année 2010, l’Europe était au cœur de toutes les préoccupations, du fait du différentiel de croissance entre ses Etats (croissance très forte en Allemagne d’un coté, et récession des pays périphériques de l’autre), et des risques d’insolvabilité de certains Etats périphériques en particulier.

Or, durant la seconde semaine de janvier, le Portugal, puis l’Espagne ont réussi à placer de petites émissions obligataires, moyennant des taux d’emprunts en forte hausse (6.70% pour un emprunt à 10 ans pour l’Etat portugais…)…suscitant l’étonnement général, semble-t-il.

Dès ce moment, les craintes structurelles sur les dettes d’Etats européens semblent s’être subitement volatilisées… Et le reste découle de cette « sérénité retrouvée ».

En chaque début d’année, les investisseurs institutionnels doivent réallouer leurs portefeuilles et, traditionnellement, se re- concentrent sur ce qui n’a pas dégagé de performance l’année précédente, en délaissant ce qui a bien fonctionné. Cette année 2011, cette traditionnelle rotation de portefeuille a été particulièrement brutale.

Ainsi, nous avons assisté à d’importants dégagements des pays émergents, à des surventes d’or et de métaux précieux, à des surventes de dollars US…et, corrélativement, nous avons vu des achats massifs de….banques européennes en particulier ! Et le secteur financier (banques et assurances européennes), composante particulièrement importante du CAC 40, a gagné près de 20% en quinze jours, faisant grimper l’indice de la bourse parisienne de plus de 7% sur le mois de janvier !

Et, puisque tout à coup, les craintes sur la solvabilité des Etats européens se sont envolées, le président de la BCE a fait mine d’augmenter bientôt les taux d’intérêt, si l’inflation européenne continuait de croître. Ceci a provoqué un afflux encore plus massif de capitaux vers l’euro, en recherche de rendements monétaires plus importants, faisant augmenter l’euro de près de 7% par rapport au dollar, comme mentionné plus haut.

Imaginez donc, qu’à l’instar des grandes banques américaines, vous soyez un investisseur en dollar. Vous avez acheté de l’euro en suivant ce grand mouvement, pour investir dans les banques européennes…Vous avez gagné près de 20% au titre des plus values sur vos titres en euro, sur lesquels il faut encore imputer 7% de hausse de l’euro par rapport au dollar, votre monnaie de référence…soit près de 29% de gains en un mois sur de grandes valeurs européennes… A bon entendeur !

Mais à l’inverse, si vous êtes investisseur en euros, et que vous investissez à l’international …la hausse de votre devise a été si brutale et si maladroitement amplifiée par la BCE, que les seules bourses au monde ayant enregistré une performance positive en euro sont…la bourse de T aipei et celle de Moscou… ! (où nous sommes investis par ailleurs…)

Notre analyse sur l’Europe

Comme on le sait, la Fed imprime depuis le mois de décembre 2010 un peu plus de 100 Mds de dollars par…mois. Ces fonds sont destinés à être prêtés à l’Etat américain (qui commence à peiner à trouver des prêteurs…), ou à racheter des portefeuilles d’obligations pourries détenus par les banques. A notre sens, l’explication véritable de cet afflux de capitaux vers les actions USA et Européennes en particulier se trouve là: les rendements obligataires étant déjà terriblement bas, ces fonds se déversent littéralement sur les marchés actions réputés « solides » (USA, Europe), sans considération des sous- jacents économiques. Dans un monde en situation de surliquidité, les mouvements peuvent être rapides et importants, dans un sens comme dans l’autre. Nous le constatons actuellement. Notre gestion, qui vise à une préservation du patrimoine dans la durée et une bonne gestion des risques, nous incite à nous concentrer sur les fondamentaux économiques réels.

Nous surveillons de très près l’hypothèse d’une amélioration de la situation financière réelle des Etats européens, et a fortiori celle des banques européennes, principaux détenteurs d’emprunts d’Etats. La confirmation d’une telle amélioration modifierait notre scénario macro-économique sur l’Europe, et nous amènerait à augmenter notre exposition, quasi-nulle à ce jour, aux actions et obligations européennes. Nous avons pris des contacts et avons d’ores et déjà identifié les sociétés de gestion nous permettant d’accroître notre exposition, sans nous exposer de trop à la très forte remontée des taux d’emprunts des Etats européens aussi bien qu’américains, remontée des taux que nous constatons en ce moment. Et qui est particulièrement explosive pour les Etats fragiles européens en particuliers…

Mais nous n’avons pour l’instant par déplacé, ne serait-ce qu’un peu de nos avoirs sous gestion, vers les institutions financières européennes, ni vers l’Europe… Nous ne croyons pas que la crise de la dette des Etats de pays développés soit derrière nous :

En effet, les taux d’emprunts européens, mais aussi américains…, augmentent fortement en ce mois de janvier – ce qui provient en même temps du sentiment de court terme d’une amélioration de la situation sur le front des actions, et d’une aggravation des inquiétudes sur la solvabilité des Etats… Le ratio endettement/croissance européen est encore aujourd’hui de 7 (c’est-à-dire que 7 euros empruntés génèrent 1 euros de gain de PIB…) La volonté, salutaire souhaitons-le, d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy d’imposer un nouveau « pacte de croissance » en Europe n’apporte pour le moment pas le début d’une solution.

La situation des banques est tellement bonne qu’un nouveau stress test des banques européennes a été annoncé pour cet été, afin de mesurer leur résistance au dégonflement en cours de la bulle obligataire (sur les emprunts d’Etats en particulier). Les modalités de ces tests sont en cours de négociations. Nous savons déjà que, concernant les banques espagnoles, il ne sera pas tenu compte d’une quelconque dévaluation de l’immobilier espagnol dans ces simulations…(sic !) L’Etat espagnol est par ailleurs par avance en train de privatiser les caisses d’épargnes espagnoles, parce qu’il ne dispose ni des fonds ni de la capacité d’emprunt pour les recapitaliser. Pour information, vers la fin du mois de janvier, pendant l’euphorie des marchés sur l’amélioration supposée de la situation européenne, l’Etat espagnol a finalement renoncé à proposer au marché un petit emprunt, et a fait appel directement à un syndicat de banques européennes…et à l’Etat chinois ( !), pour lever un emprunt dont le taux est…inconnu !

Pour mémoire de la fiabilité des stress test européens, l’Anglo Irish Bank, la plus importante banque irlandaise, avait réussi les stress test réalisés en juillet 2010…avant de faire faillite en septembre la même année et d’être nationalisée pour être démantelée…provoquant un déficit budgétaire de plus 30% du PIB pour l’Etat irlandais…qui fut contraint, lui, d’accepter un plan de sauvetage international de 85 milliards d’euros… C’était il y a trois mois…Et cette même banque, dont le démantèlement est en cours, vient d’annoncer début février 2011, une nouvelle perte record pour son exercice 2010, due à son portefeuille d’actifs toxiques en obligations européennes…

En outre, nous savons que le principal opposant au président irlandais, qui devrait remporter sans surprise les élections du 25 février 2011, a réalisé un certain nombre de démarches auprès de la BCE et du FSFE pour tenter de renégocier la dette de l’Etat irlandais souscrite pendant son sauvetage auprès de ses partenaires européens, dette qu’elle ne peut, déjà aujourd’hui, que difficilement honorer ; que la Grèce ne peut, elle non plus, échapper à une telle restructuration, qui aurait des conséquence sur l’ensemble des emprunteurs de la zone.

Jean Claude Trichet, président de la BCE, a fait une déclaration hier, témoignant de son ferme refus d’une telle restructuration de ces deux dettes…Jean Claude Juncker, président de l’Eurogroupe, a déclaré quant à lui, quelques heures plus tard en Grèce, que le FMI et l’UE devraient répondre favorablement à une telle demande aux conséquences imprévisibles.

Enfin, d’un coté, la très forte croissance de l’économie allemande justifierait à elle seule une hausse de taux d’intérêt de la BCE afin d’éviter un retour plus marqué de l’inflation ; de l’autre, une telle hausse des taux directeurs serait dévastatrice pour les pays fragiles de la zone euro. Et seule la valeur de l’euro sert de variable d’ajustement à cette politique monétaire impossible que Monsieur Trichet cherche à mener en Europe.

Il semble que, sur le fond, l’Europe ne sache avancer autrement que dans l’extrême urgence, en pleine crise…

Non, nous ne cédons pas à ces sirènes court-termistes, et maintenons pour le moment l’essentiel de nos positions, malgré « ce vent d’espoir intéressé» qui souffle depuis le monde entier sur nos terres européennes. Nous restons néanmoins vigilants sur les évènements qui pourraient modifier notre scénario macro-économique sur ce continent.

 


La Grande Alternance

Du coté des pays émergents, nous sommes tout à l’inverse : en ce mois de janvier, ce sont les trop bons chiffres de la croissance économique chinoise qui ont provoqué une certaine sanction des marchés, les investisseurs recommencent à craindre un sursaut d’inflation dans cette économie où tous les rouages sont en état de fonctionnement.

Ces bons chiffres économiques, couplés à une hausse brutale du prix de certaines matières premières, ont en effet fait craindre que la Banque Centrale de Chine ne relève une nouvelle fois ses taux d’intérêts pour endiguer cette très forte activité économique – ce qu’elle a déjà fait 6 fois courant 2010…et qu’elle vient d’annoncer ce jour.

Un tel relèvement de taux fait toujours anticiper aux investisseurs un ralentissement de la croissance économique à court terme – c’est pourquoi les marchés asiatiques ont corrigé sensiblement dans leurs devises en janvier, et plus encore si, comme nous, nous mesurons nos performances en euro…

Nous avons déjà été confrontés à plusieurs reprises à cette situation : nous continuons de considérer qu’un relèvement de taux d’intérêt, s’il est susceptible de ralentir la croissance économique à court terme, est plus encore garant de la pérennité de la croissance économique de ces pays. Nous continuons de considérer cela comme un gage de crédibilité de la politique du gouvernement chinois en particulier, et utilisons plutôt ces moments passagers pour augmenter notre exposition sur ces marchés…

Mais cette fois-ci, qu’en est-il? En effet, l’inflation assez importante en Chine, pour ne parler que d’elle, provient cette fois également de la hausse toute aussi brutale des matières premières et des matières agricoles constatée en janvier 2011. La Chine est-elle en risque d’hyper-inflation ?

Nous ne le croyons pas. D’une part, l’Etat chinois n’hésite pas à prendre des mesures drastiques pour intervenir dans les marchés en surchauffe. En mai dernier, il a interdit, par exemple, à tout ménage chinois de posséder plus de deux appartements…et dans le cas où un ménage souhaitait en acquérir un second, ce ménage devait financer 50% de l’appartement sans crédit. Entre autres mesures récentes, ce taux a été ramené à 60% au courant du mois de janvier 2011…

D’autre part, la très forte politique d’investissement en infrastructure de l’Etat chinois permet à cette économie de bénéficier de relativement importantes capacités non-utilisées. Si de nombreux économistes critiquaient cette politique, dite de « sur-investissement » depuis deux ans, il faut bien comprendre que cet équipement très important en infrastructures permet aujourd’hui à l’Etat chinois de produire plus pour accompagner sa croissance, sans qu’il n’y ait de goulot d’étranglement et de hausse non-souhaitée des prix, donc de l’inflation… Les chinois pensent toujours à long terme, en n’hésitant pas à aller contre les grandes théories économiques occidentales !

Par contre, ces risques liés au sous-investissement en infrastructure, et à la hausse des matières premières (hausse que nous pensons provisoire…parce que due pour une part importante à l’impression monétaire américaine, qui doit cesser en juillet 2011, et aussi à des facteurs climatiques exceptionnels), ces risques sont bien présent dans ceux des Etats émergents ne bénéficiant pas de ce contrôle et de ces investissements en infrastructure. En particulier, l’Inde et l’Indonésie peuvent être des sujets inflationnistes à risque.

S’il convient, à l’avenir, de distinguer parmi les pays émergents, ceux qui parviennent à gérer leur inflation et les autres, nous pensons plutôt aujourd’hui que nous sommes a un bon point d’entrée sur ces marchés…en particulier sur la Chine…

La Grande Alternance bis – l’Afrique

La hausse brutale des matières premières, en particulier alimentaires, a été le déclencheur d’émeutes, qui ont pris un caractère de révolution politique, dans certains pays d’Afrique. La Tunisie, l’Egypte, en particulier, sont en train de réaliser leur dangereuse transition vers de la démocratie. En entraînant une nouvelle recomposition politique de la région du moyen orient : le Soudan Sud est en train de faire sécession ; le Maroc connaît également certains mouvements, quoique à caractère non- politiques, etc… la Turquie cherche à renforcer ses relations commerciales avec certains Etats à risque du Moyen Orient (l’Iran en particulier)…. Cela fait quelques temps que nous avons pris de légères positions ciblées sur certains Etats africains, dont nous pensons qu’ils deviendront les futurs dragons de la nouvelle économie mondiale, le Nigéria en tête. Nous avons maintenu ces positions pendant la crise égyptienne, avec une grande vigilance. Ces positions se sont étonnamment bien comportées pendant ces évènements. Et réfléchissons à les accroître lorsque l’incertitude géopolitique se sera un peu levée. Mais il s’agit d’un grand mouvement de fond…

Plus qu’hier, et hier plus qu’avant-hier, la nouvelle donne de l’économie mondiale se construit.

 


Nos portefeuilles

Nous conservons globalement le cœur de nos convictions, malgré les mouvements financiers du mois de janvier.

Nous attendons un peu plus de visibilité pour nous concentrer sur les moins chers des pays émergents, en particulier la Russie et les marchés frontières – tout en conservant une exposition relativement marginale à ces marchés.

Enfin, en Mandat Spécial n°1, nos indicateurs avancés nous préconisaient de vendre les compartiments confiés à Carmignac Gestion, ainsi qu’à Templeton, le 28 janvier 2011.

Considérant les raisons de la baisse de ces marchés, dont la hausse de l’euro, extrinsèque à ces marchés, est en grande partie responsable, nous avons décidé de rester investis, à raison jusqu’à présent. Nous conserverons une extrême vigilance sur ces positions, et les sécuriserons sans préavis si les évolutions de la situation économique nous y amènent.

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