La planche à billet américaine

Économie
05 novembre 2010
14 min de lecture
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Rappel du contexte : dans notre rapport de gestion de juillet, nous écrivions : « en résumé, on peut dire ceci : le rapport de dépendance des pays émergents aux pays développés est déjà complètement inversé suite à la crise grecque. C’est assurément l’événement le plus important de cette année 2010, voire de la décennie. »

En effet, en cessant leurs plans de relance, en mettant en œuvre des politiques d’austérités budgétaires pour désendetter leurs Etats, en contraignant les ménages à se désendetter également, les pays développés ne peuvent plus compter ni sur leur consommation intérieure, ni sur les investissements des entreprises pour relancer une forte croissance économique. Que reste-t-il ?

Il ne reste que la consommation nouvelle, et extrêmement dynamique (bien que presque parfaitement inaperçue des économistes actuels), des nouveaux pays émergents pour stimuler les exportations des pays développés, et donc la croissance mondiale. Ainsi, aussi bien la très forte croissance de l’Allemagne au second trimestre, que l’excédent commercial record du Japon au premier trimestre, et qu’une certaine reprise de l’investissement des entreprises américaines, dépendent presque exclusivement du dynamisme du commerce mondial, peu à peu concentré exclusivement autour de la seule consommation intérieure des pays émergents.

C’est ce que nous avons appelé : la dépendance nouvelle des pays développés, vis-à-vis de la consommation des ménages émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine en tête).

Durant les mois de septembre et octobre 2010, cette dépendance s’est matérialisée en une «guerre des changes », d’après le bon mot du ministre brésilien des finances : tous les pays développés sont entré dans des opérations visant à dévaluer leurs monnaies (USD, Yen…) afin de profiter le plus possible des exportations mondiales, en particulier à destination des nouveaux pays émergents. Seule, l’Europe fait montre d’un angélisme inactif qui sera extrêmement préjudiciable à son économie : et l’euro sert de variable d’ajustement – il a grimpé de 19,3% par rapport au dollar ces 5 derniers mois… Que restera-t-il du dynamisme de l’économie allemande l’année prochaine ?

 


Le « Quantitative Easing 2 » / alias « QE 2 »

Dans le cadre de cette « dévaluation compétitive » des grandes devises, les Etats-Unis ont marqué un grand coup, en date du 3 novembre 2010.

Les craintes récentes de retour en récession des Etats Unis, suite à quelques mauvais chiffres au second et troisième trimestre, se sont muées en craintes de désinflation (voire de déflation). En résumé, cela signifierait que, malgré les sommes considérables injectées dans l’économie américaine grâce au « surendettement » de l’Etat fédéral américain, l’économie américaine ne repartirait pas. En outre, si les acteurs économiques anticipent de la déflation, ceux-ci vont préférer conserver l’argent dont ils disposent plutôt que de le dépenser – et l’activité économique serait si faible que l’Etat ne pourrait pas collecter suffisamment de recettes fiscales pour honorer le paiement de sa colossale dette d’Etat… La conséquence de ceci est que l’Etat américain ne pourrait plus emprunter sur les marchés, ou bien à des taux d’emprunt beaucoup plus élevés…sans disposer d’une quelconque réserve pour un nouveau plan de relance.

C’est ici qu’est intervenu, de façon extrêmement offensive et raffinée, la banque centrale américaine : Ben Bernanke vient d’annoncer un second « Quantitative Easing». Qu’est- ce à dire ? La Fed va imprimer de nouveaux dollars, pour la modique somme de 600 milliards (sic !) jusqu’en juin 2011, à raison de 65 milliards par mois. Ces 65 milliards se rajoutent aux 35 milliards par mois de création monétaire actuellement. Donc, d’ici juillet 2011, la Fed va injecter 100 milliards d’USD nouvellement imprimés, tous les mois, dans l’économie.

Une telle création monétaire fait craindre à beaucoup un retour d’une hyperinflation. Les républicains américains, désormais en mesure de bloquer toutes les réformes d’Obama, suite aux élections de mi-mandat (tout comme les autres « Tea-Party »), se font une joie de dénoncer cette apparente « fuite en avant » par la création monétaire…

D’où le surnom donné à l’actuel président de la Fed, Ben « l’hélicoptère » – reprenant l’image d’un hélicoptère distribuant des billets dans toutes les directions à mesure que tourne sa rotative.

Pourtant, si la réalité de cette pratique est dangereuse, elle n’en est pas moins, peut-être, un coup de génie – c’est en tous cas, selon les mots Ben Bernanke lui-même, la décision « la plus difficile de sa vie ».

La création monétaire : l’arme kaléïdoscopique de la compétitivité américaine

En effet, le but visé par Ben Bernanke, grand spécialiste de la déflation, et de la crise de 1929, est multiple – et c’est peut-être, sans doute, sûrement, un tir au but (l’avenir le dira…).

 


L’effet sur les taux d’emprunt d’Etat

Les sommes créées par la Fed seront destinées à être prêtées à long terme à l’Etat Fédéral américain, qui commence à avoir du mal à convaincre le marché de sa solvabilité à long terme: la Fed va donc acheter massivement des Bons du Trésor américain.

Ce faisant, les taux d’emprunt à long terme pour l’Etat américain vont être tirés artificiellement à la baisse: assurant ainsi à l’Etat fédéral américain la possibilité d’emprunter à bas taux…jusqu’en juillet prochain au moins. Ce qui, lorsque l’on sait ce qui est arrivé à la Grèce, et qui menace la presque totalité des Etats de pays développés, est une très bonne nouvelle à moyen terme.

  • L’effet sur les taux d’emprunt privés

Ce faisant, les taux d’emprunt de long terme étant arrimés au plus près du sol, la Fed va également maintenir très bas, voire faire encore baisser, les taux d’emprunts privés (crédit de consommation ou immobilier pour les ménages, crédit d’investissement pour les entreprises). Permettant à la consommation, durablement faible, des Etats Unis, d’emprunter moins cher jusqu’en juillet.

  • L’effet sur les anticipations d’inflation

En outre, bien que nous ne craignions pas du tout une hyperinflation aux Etats Unis pour le moment, les marchés ont craint et craignent encore un retour en déflation aux USA, tant l’activité économique y paraît faible… La déflation, c’est la baisse généralisée des prix. Dans un tel contexte (que connait le Japon depuis plusieurs décennies), votre intérêt, c’est surtout de ne pas investir ou de consommer, mais d’épargner…pour acheter plus tard, moins cher, les mêmes produits !

Ces anticipations de déflation conduisent donc les ménages qui le peuvent ainsi que les entreprises américaines à différer leurs investissements – ce qui constitue un très grand frein à la reprise américaine.

Or, justement, en créant aussi fortement des dollars, la Fed va tenter d’inverser ces anticipations de déflation: la création monétaire entraîne en effet, mécaniquement, une baisse de la valeur du dollar par rapport aux autres monnaies…

 


L’effet sur le dollar

Celui-ci ne s’est pas fait attendre ! Les marchés anticipent toujours… La perspective d’une telle création monétaire à poussé les détenteurs de dollar à s’en défaire au plus vite, au profit d’actions, par exemple, ou bien d’autres devises…

Et le dollar à chuté de près de 15% en l’espace d’un mois et demi par rapport à l’euro !

 


L’effet sur l’investissement des entreprises

La baisse du dollar, induite par cette création monétaire, rend immédiatement les entreprises américaines plus compétitives pour leurs exportations… D’autre part, le niveau de trésorerie des grandes entreprises des pays développés étant historique, si le dollar baisse, elles auront intérêt à investir maintenant leur trésor de guerre…plutôt que d’attendre.

Il est probable que l’excellent chiffre de création d’emploi aux USA au mois d’octobre 2010 (151000 création d’emploi nette, contre 64000 attendues par les analystes…), publié à l’instant, est un signe du redémarrage des investissements des entreprises…pour conquérir à l’exportation des marchés émergents, à la consommation extraordinairement dynamique…

 


L’effet sur les marchés actions

Pour se défaire de leurs dollars, les acteurs du marché achèteront…des actions par exemple – c’est ce qui fait monter les marchés actions actuellement.

L’intérêt de faire monter ces marchés, c’est d’accroître ce que l’on appelle « l’effet richesse ». En effet, lorsque la bourse monte, ou est élevée, les épargnants américains, dont toute la retraite est en actions, se sentent plus riches, et… consomment plus aisément…

 


En conséquence, l’effet sur la croissance américaine…

Imaginez-vous américain, dans un tel contexte : vous voyez que la valeur de votre patrimoine augmente régulièrement, l’entreprise (exportatrice) pour laquelle vous travaillez, investit son trésor de guerre, crée des emplois, et devient très agressive dans la conquête de nouveaux marchés (émergents notamment…), vous re-devenez optimiste et vous recommencez à consommer et/ou à investir…et tout le monde fait comme vous…le cycle est lancé !

C’est en tous cas le but des 600 milliards USD de création monétaire non-conventionnelle, annoncée par Ben Bernanke il y a deux jours…

L’échec de cette opération serait que les sommes ainsi dégagées n’incitent pas les entreprises et les ménages à investir et consommer – mais que ces sommes ne servent à rien d’autre qu’à investir dans d’autres monnaies solides, comme les monnaies des pays émergents, ou l’euro…en placement monétaire de court terme.

LE « QE 2 » vu des nouveaux pays émergents

Et, en effet, les pays émergents ont déjà protesté contre cette émission massive d’ USD…car les investisseurs américains qui ne croient pas en une reprise américaine se contentent de vendre leurs dollars et de les placer en Real brésilien, sur des placements monétaires bénéficiant d’un rendement sans risque proche de 10% par an, et bénéficiant en plus de l’appréciation programmée, de la devise…provoquant un afflux de liquidités spéculatives, qui pourront être retirées au plus vite plus tard, mettant potentiellement à mal la structure financière des banques des pays émergents.

Mais ces derniers ont des armes et une rapidité de processus de décision politique leur permettant de réagir : le Brésil, par exemple, à multiplié par deux sa taxe sur les placements monétaires, en provenance de l’étranger : elle est passée de 2% à 4% au courant du mois d’octobre. Elle vient de passer à 6%…

Une chose est certaine : les devises qui bénéficieront de cet afflux de liquidité seront l’euro (à notre grand malheur…), et, plus durablement, les devises solides des pays à la fois peu endettés et connaissant une très forte croissance économique autoentretenue…les nouveaux pays émergents, l’Australie, le Canada, l’Europe nordique…

Aussi, nous ne modifions pas nos anticipations et nos portefeuilles, dans aucun de nos mandats, et sommes investis au maximum sur nos marchés de prédilection.

 


Nos anticipations

Mandats patrimoniaux

DEVISES

Nous pensons toujours que la hausse de l’euro ne se poursuivra pas à moyen terme : elle ne reflète guère les fondamentaux européens, et résulte plus d’un mouvement de capitaux voulant se protéger des interventions visant la dévaluation des autres grandes monnaies (yuan, USD, yen, real…).

Nous pensons que, malgré les derniers stress tests, le système bancaire européen reste extrêmement fragile, beaucoup plus fragile que les banques américaines, où le nettoyage a été bien plus achevé. Les problèmes liés aux dettes d’Etats européens sont également loin d’être résolus.

Le point positif est la croissance des exportations allemandes au second trimestre – mais nous pensons que le Gouverneur de la Banque Centrale Européenne et certains dirigeants allemands se grisent de ces très bons chiffres. Il ne faut pas oublier que l’aggravation de la crise grecque a mené une forte baisse de l’euro, permettant à l’Allemagne d’afficher ces chiffres économiques exceptionnels. Et, à l’inverse, la hausse récente de l’euro et l’inactivisme de la Banque Centrale, qui pourraient se poursuivre à court terme, aura raison de la croissance de ces exportations, ainsi que des exportations européennes.

Une telle diminution des exportations européenne (elles sont presque l’unique relai de croissance des pays développés, rappelons-le), ne manquera pas de faire ressurgir les inquiétudes sur les dettes d’Etats et le système financier européen.

Malgré les bons chiffres récents, nous continuons de penser que l’Europe sera lanterne rouge de la croissance mondiale des prochaines années.

Nous avons procédé à quelques aménagements dans nos portefeuilles, permettant de gérer à court terme cette hausse brutale de l’euro par rapport au dollar – mais nous maintenons résolument notre scénario monétaire à moyen terme: à long terme, nous préférons encore le dollar US à l’euro, et nous préférons les monnaies des pays développés peu endettés (dollar canadien, dollar australien, couronne suédoise en particulier), et plus encore, préférence dans les monnaies émergentes hors yuan chinois, encore indexé sur le dollar (real brésilien, rouble, zloty…) – la force et la solidité de leur croissance, la faiblesse voire la nullité de l’endettement de leurs Etats, enfin leurs réserves de change astronomiques, et leur capacité politique à gérer le risque d’emballement de leurs économies, amènera durablement ces monnaies à s’apprécier contre les grandes monnaies des pays développés (USD, Euro, Yen)…bien au-delà des effets du Quantitative Easing 2…

ACTIONS

Comme depuis presque deux ans, le premier axe de nos investissements en actions est les entreprises des pays émergents profitant de l’émergence de classes moyennes dans ces pays, et de leur consommation naissante – nouveau cœur de la croissance économique mondiale.

A moyen terme, le ralentissement constaté des économies développées va diminuer les pressions inflationnistes dans les pays émergents, permettant aux Etats émergents de limiter leurs mesures anti-surchauffe. Ceci (mollesse de la croissance des pays développés, pressions inflationnistes en baisse) étant extrêmement favorable au développement de la consommation intérieure de ces pays.

Aussi, nous avons retiré toutes nos couvertures contre le risque de marché, et sommes exposés à 100% sur nos marchés de prédilections.

Par ailleurs, nous avons maintenus et légèrement renforcé nos positions de long terme sur des « pays nouveaux », entraînés par la consommation des grands pays émergents. Ces « marchés frontières » – Nigéria, Colombie, Kazakhstan…- seront immanquablement, à notre avis, les futurs « dragons » de la nouvelle donne économique mondiale.

Sait-on que le premier marché mondial en terme de paiement par téléphone mobile, tant en volume qu’en développement est…le Nigéria ?

Le monde change !

 

Mandat spécial n°1

Notre mandat spécial n°1, permettant d’investir exclusivement dans la consommation intérieure des pays émergents, par une sélection indépendante des meilleurs spécialistes mondiaux de ces marchés, et une méthode de sécurisation qui nous est propre (voir Présentation Mandat Spécial n°1), a été également légèrement modifié en septembre :

Nous avons sélectionné un troisième gérant de portefeuille sur ces marchés, qui partage résolument notre conviction : il s’agit de Mark Mobius – Templeton.

Considéré comme l’un des meilleurs investisseurs du siècle, aux côtés d’un Warren Buffet, le développement de la consommation des pays émergents est aujourd’hui sa presque exclusive préoccupation – il a créé un fond dédié exclusivement à cette thématique.

Nous sommes à ce jour investis à 100% au sein de ce mandat, considérant que le ralentissement de la croissance des pays développés est extrêmement favorable à nos marchés de prédilections (cf. rapport de gestion Mandat Spécial n°1).

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