De l’exploitation des gaz de schistes aux USA, à l’effondrement des devises des pays émergents, en passant par l’éclatement de la bulle obligataire, 2013 a été une année de profonde transformation de l’économie mondiale, et le théâtre d’évènements de marchés inédits. Ces derniers témoignent selon nous de l’inversion durable de certains fondamentaux, qui soutenaient l’économie mondiale depuis parfois plusieurs décennies.
Les révolutions viennent à pas de velours : les signes de l’inversion de ces fondamentaux ont été nombreux en 2013. Mais le plus évident et le plus violent d’entre eux a été la rupture des marchés pendant les vingts premiers jours de juin, suite à la déclaration de Ben Bernanke, alors président de la Fed, selon laquelle il réfléchissait à limiter les injections monétaires en USD. Et en effet, ces profondes mutations viennent toutes plus ou moins directement de la fin annoncée des injections monétaires de la banque centrale américaine.
Ce décrochage inédit de tous les actifs mondiaux en même temps, y compris les actifs défensifs (or, dollar US, emprunts d’Etats), nous a amené à sécuriser nos portefeuilles au courant du mois de juin 2013. Nous avons ensuite considérablement modifié la structure de nos portefeuilles, reconsidéré nos analyses de certains flux financiers, notre façon de traiter certaines classes d’actifs dans nos portefeuilles, et notre sélection de gérants. Nous avons développé en interne un outil unique pour notre gestion, que nous avons patiemment testé durant tout le second semestre 2013. Un important arbitrage de nos portefeuilles en date du 13 janvier 2014 a concrétisé notre réflexion de ces derniers mois
Mais voici, en résumé, ces axes fondamentaux, qui ne constituent déjà plus notre monde à ce jour, et dont la disparition à motivé nos nouveaux choix de portefeuilles.
Première idée devenue fausse en 2013
« La croissance des marchés émergents portera la croissance mondiale, comme c’est le cas depuis 1998. »
La très forte hausse des actions des pays développés, si on la compare à l’écroulement brutal des actions, des obligations comme des devises des pays émergents pendant les vingt premiers jours de juin 2013, constituent un symptôme qu’il nous faut prendre au sérieux. D’autant plus que, si les marchés développés ont globalement effacés cette secousse au second semestre, les marchés émergents, eux, ne se sont toujours pas relevés à ce jour de ces corrections majeures.
C’est un phénomène nouveau : en effet, la croissance mondiale est portée depuis plus de dix ans majoritairement par la croissance des émergents; les bourses émergentes surperforment les marchés développés depuis près de 15 ans; et à chaque crise financière, les pays émergents sont les marchés qui se redressent le plus rapidement, et le plus fortement.
Pourquoi n’est-ce plus le cas, depuis ce mois de juin 2013 ?
Il se trouve que, depuis le début de la crise, la hausse des salaires et le développement de la consommation domestique dans les pays émergents ont modifié en profondeur les relations entre les pays émergents et les pays développés. Certes d’un côté, la hausse du coût du travail dans les pays émergents continue de faire croître un pouvoir d’achat des classes moyennes émergentes. Mais elle augmente en même temps les coûts de production pour les entreprises qui recherchaient dans ces pays une main d’œuvre peu chère. Cette hausse des coûts de production dans les pays émergents amène de plus en plus d’entreprises à reconsidérer leur implantation dans ces pays.
Ainsi, produire en Chine, par exemple, devient de plus en plus cher. En outre, les gains de productivité et les progrès informatiques réalisés ces dernières années dans les pays développés, poussent de plus en plus d’entreprises à quitter les émergents et à rapatrier leur production dans les pays développés, déclenchant une sorte de ré-industrialisation véritable des pays développés, en particulier aux USA (cf. notre note sur la Renaissance américaine).
Mais ce n’est pas tout : pour les productions qui n’exigent qu’une main d’œuvre peu qualifiée, les entreprises se détournent également des pays émergents devenus trop chers, et s’implantent désormais en nombre dans de nouveaux pays, où la main d’œuvre est effectivement bon marché (Bengladesh, Nigeria, Ghana, Mexique, etc… cf. notre note « Marchés frontières : Le réveil de l’Afrique »).
Ainsi, sous l’effet de ces deux types de délocalisations, les grands pays émergents (Chine, Brésil, Russie…) vont continuer à voir leur croissance ralentir : ils participeront de moins en moins à la croissance mondiale.
En conséquence, les flux commerciaux entre les pays développés et les pays émergents vont tendre à s’équilibrer. Les pays développés importent de moins en moins de produits fabriqués par la main d’œuvre émergente devenue trop coûteuse ; et les pays émergents importent de plus en plus de produits fabriqués dans les pays développés pour satisfaire le désir neuf de consommation de la nouvelle classe moyenne émergente.
En même temps, au niveau financier, les pays émergents vont devoir faire face à une raréfaction de la liquidité : en effet, la volonté de réforme du nouveau président chinois Xi Jinping ne peut plus passer par le soutien massif d’investissements publics. Selon le nouveau président chinois, il est aujourd’hui nécessaire de faire en sorte que les banques chinoises financent véritablement l’économie réelle, que la corruption cesse, et que les entreprises chinoises apprennent à se débrouiller sans le soutien de l’Etat dans la concurrence mondiale. Le projet du nouveau gouvernement de créer une immense zone expérimentale de pure libre concurrence aux portes de Shanghai, vise à permettre de « tester » la résistance des entreprises chinoises face aux sociétés occidentales, sans aide du gouvernement, et dans un contexte où les liquidités seront vraisemblablement encore un peu moins abondantes. En effet, les banques chinoises sont de plus en plus responsabilisées sur leurs décisions de financement : l’Etat chinois ne sauvera plus ses banques, ça a été annoncé – et la Chine a l’habitude de joindre l’acte à la parole.
Si la Chine parvient à transformer ses entreprises et son système bancaire, pour les faire passer d’une économie administrée, protégée par son État, et sans doute stimulée par un certain dumping monétaire, à une économie ouverte à la concurrence et où le crédit se mérite, alors la Chine sera véritablement devenue un pays majeur avec une économie développée.
Ainsi donc, le développement des salaires chinois, la nouvelle révolution industrielle américaine liée entre autre au big data, ainsi que l’entrée dans l’économie mondiale de nouveaux pays à plus faible coût de main d’œuvre (les marchés frontières – Nigeria, Bangladesh, Mexique, Kazakhstan, etc…), dépouillent peu à peu les BRICS de leur principal moteur de croissance jusqu’ici – les exportations massives vers les pays développés.
Et, bien que le développement de la consommation intérieure demeure l’axe central du développement des économies émergentes, nous nous attendons à voir des niveaux de croissances considérablement ralentis dans de nombreux pays de cette catégorie. De très importantes disparités de croissance apparaîtront entre les pays émergents : La croissance chinoise sera de moins en moins communicative aux autres émergents. De l’autre côté, il est remarquable que certains grands pays développés, qui bénéficient du rapatriement de certaines productions sur leur sol, auront une croissance équivalente ou supérieure à certains émergents : par exemple, en 2014, les USA devraient présenter un taux de croissance légèrement supérieur à celui du Brésil.
Ainsi, les moteurs de la croissance mondiale ne se trouvent plus exclusivement au sein des économies émergentes.
Seconde idée devenue fausse
« La hausse du prix du pétrole à l’échelle planétaire est inexorable. »
Jusqu’ici, l’idée très répandue de la raréfaction du pétrole à l’échelle mondiale constituait un facteur de hausse permanente et structurelle des prix de l’énergie. Cette idée ancienne est corrélative de la hausse de la demande mondiale liée au développement des économies émergentes.
Pourtant, la stagnation du prix du pétrole en particulier, sur 2013, malgré la reprise économique mondiale aux USA, en Afrique, en Asie, au Japon, témoigne de ce que quelque chose de fondamental a changé sur le marché des matières premières énergétiques.
Ce changement a un nom : le gaz et les huiles de schistes, que les USA sont seules à exploiter industriellement. Selon un rapport de l’AIE, il y aurait l’équivalent de 250 ans de consommation mondiale de pétrole en gaz et huiles de schiste dans le seul sous-sol américain.
Ceci constitue une véritable révolution mondiale. Nous venons de découvrir une alternative au pétrole, permettant d’approvisionner l’économie mondiale pendant plusieurs …siècles ! En outre, en équivalent énergétique, le prix des gaz et huiles de schistes s’élève à 35% environ du prix du baril de pétrole – ce qui procure un avantage compétitif particulièrement important pour les entreprises produisant sur le sol américain.
Ainsi, même si, pour le moment, les entreprises américaines sont les seules à profiter de cette nouvelle énergie à très bas coûts, la demande mondiale de pétrole brut est appelée au moins à ne plus augmenter aussi fortement que l’attendaient ceux qui annonçaient la fin des réserves de pétrole mondiales d’ici quelques décennies. Cette demande pourrait même diminuer à mesure que les progrès technique dans l’exploitation des gaz de schistes s’approfondissent.
En réalité, nous sommes en train de quitter un marché structurellement haussier depuis 50 ans, sur les matières premières énergétiques.
Une conséquence ironique de cette énergie nouvelle est que la fin de l’inflation importée par les matières premières donne un souffle important aux économies développées et aux pays non-producteurs : la croissance de ces derniers ne vient plus fatalement se briser sur la hausse des coûts de l’énergie. Mais cette énergie nouvelle signe également la fin d’une rente pour de nombreux pays émergents producteurs de pétrole (Brésil, Russie, Moyen-Orient…).
Ainsi, la découverte des gaz et huile de schiste contribue au rééquilibrage progressif des taux de croissance despays développés et de la moyenne des émergents.
Troisième idée devenue fausse
« Le marché obligataire continuera de profiter de la baisse de l’inflation à l’échelle mondiale. »
La baisse constante, depuis environ 50 ans, des taux d’inflation comme des taux de croissance des pays développés, a contribué à faire monter de façon aussi constante la valeur du marché obligataire. La baisse tendancielle des taux obligataires a d’ailleurs mené la crise du crédit que nous traversons depuis août 2007. Ces cinq dernières années, les politiques très agressives des banques centrales du monde entier ont contribué à maintenir les taux d’emprunts d’Etats à des niveaux historiquement bas malgré leur surendettement : elles ont ainsi nourries une très importante bulle obligataire.
Pourtant la bulle à commencé de se dégonfler, et cette belle histoire de baisse continue des taux d’intérêt (et de hausse du marché obligataire) a pris fin brutalement courant du mois de juin 2013.
En effet, comme la reprise de la croissance américaine est chaque jour plus solide et plus forte, la Banque Centrale américaine peut diminuer progressivement ses injections monétaires. Cette dernière injectait 85 milliards de dollar par mois, depuis près de trois ans. Elle annoncait fin mai 2013, qu’au fur et à mesure de la confirmation de reprise américaine, elle diminuerait ses injections, jusqu’à les faire cesser complètement.
Or fin mai 2013, la seule évocation d’un tel programme par Ben Bernanke, président de la Fed, a déclenché un tsunami d’un nouveau genre sur tous les marchés mondiaux. Et en particulier sur les marchés obligataires des emprunts d’Etat des pays développés américains, européens et japonais. Le taux d’emprunt à 10 ans de l’Etat français, par exemple, a doublé en vingt jours début juin ; le taux d’emprunt à 10 ans des USA a également très fortement augmentés.
Et cette hausse extrêmement brutale des taux long des pays développés, non seulement ne s’est pas résorbée depuis le fameux mois de juin, mais elle s’est poursuivie progressivement, et constamment depuis.
Or, si la croissance américaine peu supporter largement une hausse des taux d’emprunts jusqu’à 3,5% du fait de sa forte croissance actuelle, ce n’est assurément pas le cas des pays de la zone euro : la croissance européenne, la plus faible du monde, ne peut absorber longtemps une telle hausse des taux.
Pourtant, la réduction progressive des injections de liquidités fait qu’il y aura moins d’argent pour financer les dettes d’Etats des pays peu vertueux, et les taux d’emprunts poursuivront leur hausse en Europe également.
Le marché obligataire entre donc dans une longue phase de normalisation, de hausse des taux, de baisse constante de la valeur des titres, en particulier des dettes des pays développés réputés solides (USA, Allemagne, France…).
C’est une donnée nouvelle, qu’il est impératif de traiter dans les portefeuilles.
Quatrième idée devenue fausse
« Le surendettement des pays développés créée une situation indépassable économiquement, qui ne peut que mener à une crise mondiale. »
De nombreux Cassandre annoncent depuis plusieurs années les maux les pires pour l’économie mondiale, qu’une crise pire encore se prépare, que seul l’investissement en or est utile, etc.
Loin d’être naïvement optimiste, nous remarquons que, encore et toujours la zone euro mise à part, les politiques massives d’injections monétaires des banques centrales des pays développés sont en train de réussir. En outre, nous avons la bonne suries de voir apparaître des sortes d’amortisseurs du poids de l’énorme endettement public dans certains pays.
Aux USA, la découverte du gaz de schiste donne un avantage concurrentiel très important à l’économie américaine. Comme ces derniers n’auront de moins en moins besoins d’importer du pétrole, la balance commerciale américaine tendra à s’équilibrer, ce qui est particulièrement favorable au désendettement. Ainsi, les mesures récessives de restrictions budgétaires n’auront pas besoin d’être particulièrement forte aux USA. Et les finances de l’Etat fédéral américain n’aura pas de difficulté à se priver des mesures exceptionnelles de soutien de la Fed.
Au Japon, c’est aussi la très grande agressivité de la politique monétaire de la banque centrale, qui a permis une baisse massive du yen par rapport au dollar, et qui ouvre aux entreprises japonaises d’importants marchés à l’export. Cette baisse du yen d’environ 20% par rapport au dollar sur 2013 stimule la croissance économique japonaise, retourne les anticipation déflationniste interne au pays, et devrait permettre au gouvernement de Shinzo Abe d’accroître la pression budgétaire (hausse de la TVA notamment) sur l’économie, sans la mener à la récession.
Il n’y a guère qu’en zone euro, largement à la traîne de la reprise économique mondiale en cours que, privée de banque centrale capable de soutenir l’économie et de contrôler le change de l’euro, s’interdisant l’exploitation des gaz et huiles de schistes, et dépourvu de tout autre levier économique fort, les taux longs, il n’y guère qu’en zone euro qu’aucun amortisseur n’existe pour éviter que le poids de la dette ne continue d’étouffer les économies de la zone euro. Le risque de déflation, ou même simplement l’absence d’inflation, accroîtra également mécaniquement le poids de la dette sur les économies.
Remarquons par ailleurs que seule l’économie française continue de décrocher au sein d’une zone euro qui ne bénéficie que très peu de la reprise économique du reste du monde.
Épilogue
Ainsi, l’année 2013 a été riche ! Elle nous a appris notamment que :
La croissance mondiale se rééquilibre entre les pays développés et les pays émergents, et qu’il y aura d’importantes différences de taux de croissances selon la situation de chaque pays ;
la fin de la hausse structurelle du prix du pétrole éloigne les menaces inflationnistes dans le monde (et ravive les menaces déflationnistes dans la zone euro), et ce malgré les très fortes injections monétaires mondiales ;
La baisse continue des taux d’intérêts depuis plusieurs décennies …a durablement pris fin en 2013 ;
Le surendettement des pays développés dont les banques centrales ont réussit leur pari, devient « supportable » grâce à l’apparition de nouveaux stimuli économiques (gaz de schiste, baisse du yen, etc…). Seule la zone euro ne bénéficie d’aucun de ces amortisseurs, et s’offre paresseusement au risque déflationniste.
Ces révolutions silencieuses et fondamentales nous amène à modifier très considérablement nos habitudes de gestion : en particulier, la partie obligataire d’un portefeuille, dans ce contexte nouveau de baisse constante de ces marchés, ne peut plus constituer la poche « sécurisée » des portefeuilles.
Par ailleurs, nous nous sommes séparés de certaines sociétés de gestion que nous suivons depuis fort longtemps, que nous sentons quelques peu enfermées dans certaines analyses ancestrales, et pas toujours en mesure de se renouveler. Nous avons également découverts des gérants d’une nouvelle génération, capable d’œuvrer dans un monde aussi conditionné par les flux financiers que par la valeur des choses.
Enfin, nous nous sommes dotés d’un outil nous permettant de vérifier chaque semaine que les fonds que nous sélectionnons présentent une tendance haussière, et ce tant que nous les détenons.
Nous donnons rendez-vous à nos clients dans la partie réservée de ce site (Vous, puis Accès réservé), dans laquelle nous vous avons donnés de plus amples informations sur l’arbitrage du 13 janvier 2014 : en particulier, nous mettons à votre disposition des analyse de nos nouveaux portefeuilles, et des sociétés de gestions que nous avons sélectionnées.