Le mystère des taux d’emprunts négatifs des États européens

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«La puissance d’un esprit se mesure à la dose de vérité qu’il est capable de supporter», suggérait le bon Nietzsche. Et, pendant le mois de juillet, entre les effets d’annonces, les rumeurs, les anticipations contra-cycliques, les démentis des autorités européennes, il devient difficile d’apercevoir la poursuite du travail de sape d’un euro trop fort sur la croissance de l’économie européenne et sur les budgets des États.

Si les Européens pouvaient comprendre que la Grèce, mauvais élève de l’Europe parce qu’elle ne parvient pas réellement à mettre en œuvre les réformes demandées, se porte mal, ce sont aujourd’hui les « bons élèves » espagnols et bientôt italiens, qui seront contraints de demander un sauvetage généralisé, dans les prochaines semaines probablement. Et ce, alors même que les instruments européens permettant ces sauvetages (le Mécanisme Européen de Stabilité – MES), sont hors d’état de service : en effet, la Cour Constitutionnelle allemande a accepté de traiter une plainte, selon laquelle un tel mécanisme serait contraire à la constitution allemande, car il rend l’Allemagne indéfiniment solidaire des dettes des autres États Européens.

Pendant ce mois, nos portefeuilles patrimoniaux se sont appréciés de 2 à 3% selon les profils de risques.

Mais je vous propose de nous concentrer sur une remarque formidable de Mario Draghi, passée inaperçue dans l’ensemble des médias européen – remarque par laquelle le Président de la BCE rejoint notre analyse à son corps défendant.

 


La formidable remarque de Mario Draghi (BCE)

Lors de la conférence de la BCE de la fin du mois de juillet, Mario Draghi s’est étendu sur les mystères des taux d’emprunts d’États européens : les taux sont parfois négatifs (pour l’Allemagne, la Finlande, et la France depuis peu) ; à l’inverse ils sont proche de 7% pour l’Espagne, l’Italie, 12% pour le Portugal Le niveau insoutenable des taux d’emprunts des pays du sud condamne les efforts budgétaires réalisés par ces pays. Comment s’explique ces différences historiques de taux d’intérêts ?

Il y a l’explication « classique » : 1.) le risque de liquidité, 2.) le risque de défaut. Il est évident que si vous prêtez de l’argent à quelqu’un à 10 ans, vous ne pourrez disposer de cet argent pendant cette période. Et ceci implique une rémunération, c’est normal. Ensuite, si la personne à laquelle vous prêtez cet argent est en très grande difficulté financière, vous courrez le risque de ne pas être remboursé (risque de défaut). Ainsi, il est évident que ce risque est plus important lorsque vous prêtez à l’État espagnol, moins important lorsque vous prêtez à l’État allemand, par exemple. Mais le niveau et la persistance de ces écarts extrêmement importants de taux, malgré les efforts entrepris par l’Europe, nous montre qu’il manque l’explication fondamentale.

 


L’anticipation du retour aux monnaies nationales

Et l’explication fondamentale, Mario Draghi nous l’a donnée lors de sa dernière conférence : il s’agit du risque de convertibilité. Il a dit :

« Il y a ensuite une autre dimension à cette question, qui concerne les primes facturées sur les emprunts d’États souverains. Comme je l’ai déjà dit, ces primes correspondent au risque de défaut et au risque de liquidité. Mais, elles correspondent aussi au risque de convertibilité. »

C’est-à-dire ? Qu’est donc cette nouvelle chose, là ?

Cela signifie, très simplement, que les prêteurs considèrent l’évidence, à savoir que l’euro peut éclater, et les pays peuvent revenir à leurs monnaies nationales. Ceci signifie que si vous avez prêtés 100 € à l’État italien, et que celui-ci, à un moment donné, revenait à la Lire, c’est en Lires que vous seriez remboursé. Or, la lire serait considérablement dévaluée par rapport à l’euro, et ceci vous causerait une perte en capital extrêmement conséquente ! C’est pourquoi les prêteurs exigent un taux d’intérêt nettement plus élevé à l’Italie : il faut en effet que le montant des intérêts compense la dévaluation attendue…

De l’autre côté, si vous prêtez 100€ à l’Allemagne, et que l’Allemagne revenait au Deutsch Mark, là, vous feriez une très bonne affaire : en effet, en ce cas, étant donné la force de l’économie allemande, le Deutsch Mark s’apprécierait considérablement par rapport à l’euro. Et vous seriez remboursés dans une devise qui vaudrait beaucoup plus que la somme que avez prêtés ! Voici pourquoi les prêteurs sont prêts à payer l’État allemand pour lui prêter de l’argent – et l’État allemand emprunte à taux négatifs.

La France s’en sort plutôt bien à ce jour : elle entre dans le cercle des pays qui empruntent, sur de courtes échéances, à taux très légèrement négatifs. Ce qui signifie que les marchés considèrent qu’en cas de sortie de la zone euro, le Franc français resterait à peu près stable par rapport à l’euro.

Ce phénomène est extrêmement intéressant : il signifie que les marchés des emprunts d’États européens sont devenus des marchés sur lesquels on spécule sur la valeur future des monnaies nationales de ces différents pays !

C’est un élément que, par ailleurs, nous signalons depuis fort longtemps. Mais là, c’est un membre de la BCE, et non des moindres, puisqu’il s’agit de son Président en personne, qui le mentionne.

Or, c’est un élément d’analyse extrêmement important. En effet, selon Mario Draghi, c’est l’absence de confiance des investisseurs dans la pérennité de l’euro, qui explique ces taux d’intérêts insupportablement élevés d’un côté, négatifs de l’autre.

Ainsi, ce n’est pas tant l’insolvabilité des États du Sud que sanctionnent ces taux d’intérêts très élevés, mais la perspective d’un éclatement de la monnaie euro : les efforts budgétaires, aussi énormes soient-ils, de l’Espagne et de l’Italie ne suffiront pas à eux seuls à faire baisser ces taux d’emprunts ! Il faudrait, en outre, que l’avenir de l’euro soit perçu comme assuré…

Mais avec un imminent sauvetage espagnol et italien, les sommes en jeux deviennent si importantes qu’aucun État, fût-ce l’Allemagne, ne peut se porter solidaire sans provoquer un « suicide » de son économie. Des études circulent, affirmant que l’Allemagne, si elle voulait participer au sauvetage espagnol et italien, devrait sacrifier 12% de son PIB ! Et c’est sans compter que, avec la probable entrée en récession de la France au 3e trimestre, il n’y aura presque plus de pays capable de se porter solidaire des pays en difficulté. Alors, les investisseurs auront eu raison de se protéger contre la fin de l’euro.

Nietzsche dirait que Mario Draghi a fait preuve, là, d’une plus grande « puissance d’esprit », en acceptant de supporter une dose plus importante de vérité – malgré les importants remous que sa remarque a provoqué dans les couloirs feutrés de la BCE.

 


Nos portefeuilles

Nous restons extrêmement défensifs dans nos positions, en attendant le mois de septembre 2012 – l’ensemble des décisions vitales pour l’euro semblent devoir être repoussé à cette date sans céder à certaines sirènes d’un optimisme contrarien de court terme. Nous avons pris nos bénéfices sur nos positions directes en dollar US, et nous sommes très légèrement couverts, la troisième semaine de juillet, contre une hausse l’euro, de façon tactique (court terme).

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