Un transfert historique de richesse est en cours

05 février 2016
11 min de lecture
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Le mois de janvier a été une entrée dans la nouvelle année particulièrement mouvementée sur les marchés financiers. Sous les effets conjugués de la chute continue du prix du baril de pétrole et des craquements sur le marché obligataire dit « à haut rendement », du ralentissement de l’économie chinoise et du dégonflement de la bulle des valeurs biotechnologiques américaines, de nombreux marchés financiers dans le monde ont connu leur pire mois de janvier depuis longtemps.

Un scénario noir semble envahir les opérateurs de marchés. On envisage même le risque d’un bis repetitia de la grande crise financière et économique de 2008 (Patrick Artus, etc…).

Comme a dit l’historien Deirdre N. Mc Closkey au New York Times : « Pour des raisons que je n’ai jamais comprises, les gens aiment entendre l’idée que le monde roule vers l’enfer ». J’emprunte cette citation à mon ami Yoann Meyer, dans un point de macro économie pour la société H2O Asset Management : « For reasons I have never understoood, people like to hear that the world is going to hell », comme le disait l’historien Deirdre N. Mc Closkey au New York Times

C’est que nous ne partageons pas cette vision strictement pessimiste, nous pensons au contraire que le point bas d’un certain nombre de marchés n’est pas loin, voir a été atteint. Nous assistons en réalité à la fin d’un monde, et au début d’un autre, lié à la forte et durable baisse des prix du pétrole.

 

Vers une nouvelle crise financière ? Un faux air de 2008

Les marchés anticipent aujourd’hui un scénario noir, analogue à la grande crise financière et économique de 2008, déclenchée cette fois-ci non pas par les défauts de remboursements des crédits immobiliers « Subprimes » américains, mais par la multiplication des défauts des dettes des sociétés pétrolières. Ces défauts de remboursement devraient mettre les banques mondiales en grande difficulté, comme en 2008. Ceci entrainerait un ralentissement économique majeur des USA et du monde. La crise serait alors plus grave qu’en 2008…

En effet, la baisse actuelle du prix du pétrole sous les 30 dollars le baril (contre 115 dollars 18 mois plus tôt !) sous la pression de l’Arabie Saoudite, ne permet en effet plus à la plupart des sociétés pétrolières d’honorer leurs engagements de crédit. Et ces sociétés se sont fortement endettées : elles représentent près de 40% des crédits à risque accordés aux entreprises (ce que l’on appelle les crédit High Yield). Aussi, avec des prix de vente de pétrole si bas, nous allons fatalement assister a des défauts sur ces dettes. Et, comme en 2008, ces défauts vont ensuite nécessairement mettre en difficultés les sociétés financières et les fonds d’investissements qui les portent – ce phénomène a déjà commencé, avec certaines sociétés de gestion spécialisées sur le secteur du high yield qui ferment et cessent leurs activités aux USA. Enfin, comme en 2008, ces dettes sont assurées par des produits dérivés (les Crédit Default Swaps – les fameux CDS) émis par les banques. Ainsi, même si les banques mondiales ne portent que très peu la dette des sociétés pétrolières, elles pourraient être affectées par le règlement des CDS, et mises en difficultés, voire en faillite. Comme en 2008.

Pourtant, à notre avis, cette analogie avec la grande crise de 2008 est erronée – plusieurs différences notables l’invalident. Si assurément les défauts vont se multiplier sur les dettes des sociétés liées au marché pétrolier, ces pertes ne devraient pas avoir d’effet systémique, comme en 2008. Voici pourquoi :

  1. Contrairement aux prêts supprimes américains de 2008, qui étaient tout sauf transparents, les prêts au secteurs de l’énergie sont clairement identifiés. Et nous ne pensons pas que le prix du pétrole baisse beaucoup plus loin que ce que l’on a connu en janvier 2016 : le juge « de paix » (si l’on peut dire…) du prix du pétrole est l’Arabie Saoudite. Or elle a construit son budget 2016 avec une hypothèse du prix du baril à 26 dollars US. Ce prix a été quasiment atteint en janvier et le pétrole ne peut donc aller durablement en deçà de ce prix. Il n’y aura donc pas, comme cela a été le cas après 2008, de révision permanente à la hausse, des montants des défauts sur ces prêts. Les montants sont assez clairement identifiés.

  2. De plus, le risque a été réparti dans tout le marché, y compris vers des investisseurs finaux via des obligations. On ne décompte que peu de produits structurés sur le secteur pétrolier. Le risque liés aux produits dérivés portés par les banques est donc relativement limité et mesurable. Il ne sera pas systémique.
  3. En outre, les montants de défauts attendus sont 20 fois inférieurs aux 2000 milliards d’USD des supprimes américains (même dans une hypothèse pessimiste d’un baril de pétrole à 25 dollars durablement).
  4. Enfin, du travail a été réalisé depuis 2008, en particulier sur les banques américaines : elles sont aujourd’hui 2 fois plus capitalisées qu’en 2008, deux fois plus solides.

Ainsi, la crise des sociétés pétrolières, si elle est réelle et importante, n’aura pas d’effet systémique sur le système financier mondial comme en 2008 : les montants en jeu sont sans commune mesures avec les subprimes, et clairement identifiés.

Au contraire du scénario dominant, nous pensons qu’il n’y a avec la crise financière de 2008 qu’un faux air de ressemblance avec les corrections de marchés actuelles.

 


Les USA vont-elles rentrer en récession ?

Une autre conséquence de la baisse du prix du pétrole, est la fermeture de nombreux puits de gaz et de huiles de schistes aux USA. Or une part importante des créations d’emplois récentes aux USA sont venues de ce secteur. S’il s’écroule, la croissance américaine risque de n’avoir été qu’un feu de paille. Et un retour en récession de l’économie américaine, dernier moteur de la croissance mondiale, aurait des effets dévastateurs sur l’économie du reste du monde. L’économie mondiale pourrait souffrir, comme après 2008.

Pourtant, encore une fois, c’est une vision à notre sens erronée. C’est une erreur de compréhension du nouveau monde dans lequel nous entrons.

C’est qu’il ne faudrait pas oublier l’essentiel ! Un prix du pétrole durablement bas occasionne un transfert de richesse historique des pays producteurs de pétrole, vers les pays consommateurs de pétrole. Ce transfert inouï devrait dépasser les 2500 milliards de dollars par an… Cette richesse nouvelle et soudaine va venir dans les prochains mois renforcer le pouvoir d’achat et la consommation des pays développés notamment.

Les pertes d’emplois liés aux secteurs des gaz et huiles de schistes américains seront donc compensées par le développement de le consommation domestique des pays développés et de l’investissement des sociétés non-pétrolières. Et à vrai dire, nous constatons déjà, dans les chiffres du chômage américains, que les créations d’emplois demeurent positives, malgré les restructurations sur le secteur pétrolier américain. Le nouveau monde approche.

A ce transfert de 2500 milliards de dollars US en faveur de la consommation des pays développés, s’ajoute que le crédit à taux bas est en progression dans ces mêmes pays (une progression forte aux USA, mais aussi en zone euro). Ce qui vient également favoriser l’investissement des entreprises et la consommation des ménages.

Enfin, même en cas de risque sur la croissance américaine, les banques centrales qui le peuvent vont continuer d’être accommodante et d’injecter des liquidités dans l’économie (notamment en Europe et au Japon), et même aux USA, la Fed demeurera vigilante sur les chiffres de la croissance américaine et prête à agir, même si elle continue à normaliser sa politique monétaire.

Aussi, nous pensons au contraire que la croissance américaine devrait surprendre à la hausse dans les mois qui viennent, à mesure que l’on constatera les effets de ce transfert historique de richesse de 2500 milliards d’USD…

Non, décidément, nous ne sommes pas en 2008…

 


Entrons-nous dans un marché baissier durable ?

Pareillement, nous ne croyons pas que nous sommes entrés dans un marché baissier structurel et durable : au contraire, il s’agit d’une réallocation de portefeuille en cours, qui accompagne l’émergence du nouveau monde, basé sur la consommation domestique des pays développés.

En effet, pour entrer dans un marché baissier durable, il faut que le niveau d’investissement soit élevé, et que les investisseurs aient beaucoup de titres à vendre. Comme en 2007…

Pourtant, actuellement, les positions à risque sur les marchés financiers des investisseurs institutionnels sont historiquement faibles. Les gérants d’actifs européens ont coupé leurs positions actives dès septembre, et n’ont pratiquement plus d’actifs risqués ou sont au moins sous-pondérés en actifs à risque. Les Hedge Funds ont nettoyé leurs books en décembre 2015, suite au discours de Mario Draghi (le premier qui a déçu les marchés !). Les fonds L/S equity US n’ont plus la moindre exposition au marché action américain – du jamais vu ! Et les fonds communs de placement américains regorgent de cash.

En outre, l’investisseur européen cherche à sortir de ses obligations à taux négatifs en zone euro et investit régulièrement dans des solutions globales.

En résumé, les positions sont déjà nettement nettoyées. Bref, le cash est à des niveaux jamais vus…

Pourquoi donc ? Que se passe-t-il ?

En réalité, les investisseurs soldent leurs positions perdantes liées au pétrole, aux obligations à taux 0% (et à celles dont les taux vont remonter aux USA), aux actions émergentes, avant de les réinvestir sur la consommation domestique des pays développés – consommation qui profite de la baisse des prix du pétrole, des taux d’emprunts très faibles, et qui sera le nouveau vecteur de la croissance ces prochaines années…

Cette massive réallocation de portefeuille des investisseurs se fait en passant par la case cash… Et il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de cash à investir.

Décidément, nous ne sommes pas en 2008.

 


Les rimes de l’Histoire

Nous sommes en réalité dans un changement profond de monde économique, lié à la baisse durable des prix du pétrole. C’est ce que nous appelions, en septembre dernier, « une nouvelle géographie de la croissance mondiale ». Les mouvements sur les marchés auxquels nous assistons constituent l’importante réallocation de portefeuille nécessaire pour s’adapter à ce nouveau monde.

Souvenez-vous, si l’Histoire ne se répète pas (nous ne sommes pas en 2008), elle rime : En janvier-mars 1994, nous avons connu les plus bas de marché; en janvier-mars 2003, c’étaient les plus bas du marché après le dégonflement de la bulle du Nasdaq; en janvier-mars 2009, c’étaient les plus bas de la crise de 2008. Nous sommes en janvier-mars 2016…

On ne devrait pas être très loin des plus bas, avant un rebond des classes d’actifs qui vont bénéficier du nouveau monde.

Si nous avions bien anticipé la baisse de la Chine, des émergents, la hausse des taux américains, et du pétrole (cf. nos lettres économiques de 2015), nos portefeuilles ont été quelques peu chahutés par des ventes généralisées sur les marchés : des acteurs se sont mis à vendre en janvier également les actifs qui bénéficient de la baisse des prix du pétrole… Aussi, nous conservons nos positions, malgré la hausse d’une volatilité sans discernement, qui devrait être temporaire.

La construction actuelle de nos portefeuilles nous permettra de bénéficier du retour des investisseurs sur les segments de marchés qui vont bénéficier du plus important transfert de richesse de l’Histoire au bénéfice de la consommation des pays développés.

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