Discussion sur l’état du monde

27 juillet 2010
16 min de lecture
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De nombreuses statistiques récentes augurent d’un ralentissement de l’activité économique aux USA comme en Europe, ainsi que dans certains pays émergents (Chine). Certains analystes parlent aujourd’hui d’un retour en récession de ces zones (Money Week, Day by Day…). Quelles en seraient les conséquences ?

C’est un scénario catastrophe ! En effet, l’endettement des États est tel qu’il ne leur permet plus, aujourd’hui, d’emprunter à l’avenir pour financer une relance économique. Nous travaillons sans filet aujourd’hui. En outre, un retour en récession ne permettrait pas à ces États de collecter les recettes nécessaires à l’acquittement du service de leur dette. Ceci aurait pour conséquence d’augmenter très sensiblement les taux d’intérêts exigés par les prêteurs aux États, et de mettre en faillite programmée de nombreux États de pays développés : ce qui serait du jamais vu ! C’est le cercle catastrophique « récession / hausse des taux longs » dont nous avertissons du danger depuis plus d’un an. Et c’est ce à quoi la Grèce a échappé récemment de justesse grâce à l’intervention solidaire de l’Europe !

 


Certains économistes, particulièrement pessimistes, parlent d’un retour du CAC 40 sous les 2800 points à brève échéance. Qu’en pensez-vous ?

Que disaient ces économistes pendant la forte chute boursière de 2008…et pendant la reprise des marchés en 2009? Après le traumatisme des épargnants comme des professionnels de l’année 2008, dont un bon nombre ont également « raté » le rattrapage des marchés en 2009, la psychologie vous pousse à prédire pour 2010 ou 2011…ce qu’il fallait anticiper en 2008 ! Il y a des professionnels du pessimisme aujourd’hui, comme il y avait des professionnels de l’optimisme en 2008.

Pour parler sérieusement, il reste nécessaire de se méfier des généralisations hâtives dans l’interprétation des chiffres économiques. C’est d’autant plus nécessaire dans des périodes troublées comme la nôtre, pendant lesquelles aucun scénario ne retient l’assentiment général : les économistes craignent aujourd’hui autant l’hyper-inflation que la déflation ! Il s’agirait de se décider, non ?

 

Quel est votre point de vue sur l’état de la croissance/décroissance à venir ?

D’une part, nous ne sommes pas en train de retomber en récession – la réalité est plus complexe, et plus passionnante que cela ! Comme disait l’autre, « les grandes révolutions viennent à pas de velours ». Je ne prends que deux évènements récents de marché, pour exemple :

Premièrement, la chute de l’indice composite des indicateurs économiques américain au mois de juin, qui fait paniquer les marchés quant à la réalité de la reprise américaine : s’il est ressorti en forte baisse, il est remarquable que c’est sous l’influence exclusive de l’activité immobilière, elle-même en très forte chute sur le

mois. Néanmoins, toutes les autres composantes de l’indice sont ressorties en hausse sensible, témoignant qu’à part l’activité immobilière, la reprise est réellement toujours d’actualité et en route, comme le faisait remarquer Ben Bernanke, patron de la Fed.

Remarquons encore à ce sujet qu’après un record de faiblesse au mois de mai, les ventes immobilières aux États Unis ont rebondi de 23.6% en juin ! La caractéristique d’une reprise molle est d’être « cahoteuse », selon le très bon mot de M. Trichet : on est « douché chaud », puis « douché froid », par des statistiques prometteuses, puis décevantes, puis… De cela provient la grande opposition des économistes qui anticipent pour certains, une hyper-inflation, pour d’autres, un retour en déflation !

Deuxièmement, un autre élément qui a contribué à la grande panique des marchés en juin est la correction du Conference Board sur la Chine. Annoncé à 1.7% en mai, il a été corrigé en juin, et ramené finalement à 0.3% suite à une erreur de calcul. Les marchés ont alors anticipé un très fort ralentissement de l’activité économique chinoise. Or, là encore, il est nécessaire une fois de plus de faire preuve de discernement. La très grande force de l’activité économique chinoise fait peser sur elle, structurellement et réellement, un risque de surchauffe et d’inflation non-maîtrisée.

Il est « amusant » de remarquer que, lors de la publication de cet indice à 1.7%, la bourse de Shangaï a perdu 4% dans la journée qui a suivi – les investisseurs craignant une surchauffe de l’économie chinoise. Lorsque cet indice a été corrigé à 0.3%, la bourse de Shangaï a également perdu un peu plus de 4%, craignant un ralentissement de l’activité chinoise ! Alors ?

Notre avis, inchangé depuis plus d’un an, est le suivant : les mesures très fortes prises par le gouvernement chinois, notamment concernant la hausse des prix de l’immobilier chinois en avril, ont porté très rapidement leurs fruits, comme en témoigne cet indice ramené à 0.3%. Ce qui est, pour nous, extrêmement sain pour la croissance de l’économie chinoise dans la durée, et témoigne de la grande capacité de son gouvernement à endiguer les surchauffes économiques ! Et ces baisses de marchés sont des points d’entrée intéressants.

Remarquons, au passage, que la baisse du Conférence Board n’a pas empêché la Chine, ensuite, de revoir à la hausse, en juin, les perspectives de croissance de son PIB pour 2010 à +10,30 % !

 

D’accord. Pour vous, nous sommes en croissance molle et « cahoteuse ». Il nous faut donc nous méfier des chiffres à un mois : une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais alors, quelle est la « grande révolution à pas de velours » dont vous parliez ?

Revenons sur les anticipations de croissance américaines : vous vous souvenez, lorsque l’on parlait d’une reprise en « V » (reprise à laquelle nous n’avons jamais cru !) ? C’est qu’historiquement, après la plupart des grandes crises, le redémarrage était aussi violent et rapide que la correction ! Mieux valait rester investi !

Or, nous prévoyons, nous, plutôt une reprise qui serait un croisement entre un « V » et un « L » – une reprise durablement molle, mais véritable. Pourquoi n’assistons-nous pas à une reprise en « V », comme d’ordinaire ?

Parce que les leviers de la croissance du siècle dernier sont définitivement abîmés ! Ce qui a toujours fait redémarrer l’économie mondiale, était la croissance de consommation américaine, avec endettement des ménages, des entreprises, des États… Or, étant donné le surendettement actuel des USA en premier lieu, l’heure est durablement au désendettement : au lieu de consommer, les ménages qui le peuvent encore vont préférer épargner et rembourser leurs dettes. La consommation américaine ne repartira pas de si tôt – et c’est d’ailleurs le principal argument, au demeurant véritable, des « récessionnistes » et autres « déflationnistes » !

 

Et la révolution, alors ?

La révolution dont nous suivions les prémices a eu lieu ces derniers mois, consécutivement à la crise grecque. Et c’est pour nous le principal événement récent !

Suite à la crise grecque, qui menace à différents titres la presque totalité des États développés, ces derniers ont cessé de projeter des plans de soutien à leurs économies, et ont au contraire mis en œuvre des politiques de restrictions budgétaires afin d’assainir les finances publiques – ce qui est plutôt sain et urgent. Ces politiques d’austérité ont été mises en œuvre plus fortement en Europe et en Grande-Bretagne, elles le seront bientôt aux USA.

Donc, vous voyez le tableau : pas ou peu de consommation, durablement ; des États qui se désendettent et mettent en œuvre des politiques d’austérité budgétaires en lieu et place de leurs plans de relance ; des Banques Centrales qui retirent peu à peu leurs « facilités » de liquidités aux banques…le tout dans une situation de croissance faible et fragile.

 

Mais vous donnez des arguments aux « récessionnistes » !

Oui ! Je suis tout à fait d’accord avec ces arguments et cette description. Mais ça n’est qu’une moitié du tableau !

 

Quelle est l’autre moitié du tableau ?

Jusqu’ici, les pays émergents exportaient en masse vers les pays développés. Or, ils ont changé de moteur en plein vol – en se mettant à consommer. A un rythme et une intensité qui échappent à la plupart des économistes actuellement, prisonniers de leurs préjugés et voyageant rarement !

Autrement dit, jusqu’il y a deux ans environ, la croissance des émergents se faisait « sur le dos » des pays développés : la croissance chinoise, par exemple, était dépendante de la consommation des pays développés. Aujourd’hui, du fait de la hausse constante et durable de leur consommation, ils deviennent importateurs nets – c’est-à-dire qu’alors que jusqu’à présent, ils freinaient la croissance des pays développés en exportant en masse, ils deviennent aujourd’hui les moteurs de la croissance mondiale et des pays développés.

Mais vous pensez vraiment que l’essor de la consommation des nouveaux pays émergents sera suffisant pour compenser la faiblesse durable de la consommation de l’ensemble des pays développés (USA+Europe+Japon, tout de même) ?

Je vous (re-)donne deux chiffres. Il y a des fois où les chiffres parlent d’eux-mêmes.

En août 2007, les ventes de détail aux USA, premier consommateur mondial et de très loin, ont atteint le record de 380 Mds USD par mois. Après la crise et une baisse historique de la consommation, en décembre 2009, la consommation des particuliers américains atteignait péniblement les 345Mds USD. Soit une baisse historique de 35 Milliards d’USD par mois, seulement aux États Unis !

En Chine, en août 2007, les ventes de détail pesaient 110 Milliards d’USD. Ce qui est normal pour un pays dont le PIB représentait environ un quart du PIB américain ! Or, en décembre 2009, les ventes de détail ont atteint 150 Milliards d’USD. Soit une hausse historique de 40 Milliards par mois ! Pendant la crise !

Autrement dit, l’augmentation de la seule consommation chinoise, pays pesant un quart du PIB des USA à l’époque, a été plus forte que la baisse historique de la consommation américaine des deux dernières années… À bon entendeur !

Et comme ce pays est en outre extrêmement peu endetté (quoiqu’on dise…), et dispose de 35% des réserves de change mondiales (sic !), les chiffres que l’on verra à l’avenir seront encore plus éloquents !

En effet, nous voyons en Chine des mouvements ouvriers demandant des augmentations de salaires. Ils obtiennent entre 25% et 60% de hausse généralisée des salaires…hausse impossible à obtenir sans l’aval du gouvernement chinois ! C’est dire que le gouvernement chinois est très volontariste dans la difficile gestion de son changement de moteur (de l’exportation, il passe à la consommation intérieure).

 

Quelles en seront les conséquences sur les sociétés implantées en Chine pour y trouver de la main d’œuvre à bas coût et pour exporter leurs marchandises vers les pays développés ?

Ces entreprises étrangères ou chinoises, sont prises dans l’étau d’une faible consommation des pays développés, et d’une hausse durable de leurs coûts de production. Elles ont assurément du souci à se faire ! C’est là l’ancien moteur économique chinois – le nouveau est, quant à lui, directement issu du pouvoir d’achat en forte hausse des ménages chinois : la consommation.

Remarquez que lorsque des économistes parlent de risques sur l’économie chinoise, ils ne parlent que des exportations chinoises… Il est frappant de voir combien, aujourd’hui encore, la dimension de consommation inhérente à ces pays, échappe encore littéralement aux regards de la plupart des analystes, les yeux rivés vers les chiffres des exportations pour évaluer la santé des économies émergentes.

Le second chiffre que je voulais vous donner est le suivant : en l’an 2000, les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) représentaient à peine 11% de la richesse mondiale. Aujourd’hui, ils représentent un peu plus de 30% de cette richesse mondiale – ce qui en fait une zone de taille quasi-équivalente aux USA, ou à l’Europe dans son ensemble ! Et c’est sans compter les petits pays asiatiques, d’Amérique du Sud et même…africains qui sont entraînés par cette croissance.

Savez-vous que, par exemple aujourd’hui, le premier marché mondial, tant en volume qu’en croissance, en termes de paiement par téléphone mobile est le Nigeria ? Oui, vraiment, le monde a changé…

La Chine était déjà, fin 2009, la troisième économie mondiale, juste derrière le Japon – elle sera assurément la seconde à la fin de cette année…

 

Mais que peut-on en attendre, nous autres pays développés ?

Exactement ce qui nous maintiendra hors de la récession : des exportations, des exportations en masse. C’est ce qui explique les chiffres attestant d’une croissance, molle mais réelle, dans les pays développés (malgré les taux de chômage historiques, et la faiblesse de la consommation). C’est ce qui justifie l’arrêt progressif des mesures de soutien à l’économie dans ces mêmes pays…

Voyez : lorsque l’Allemagne, second exportateur mondial (depuis que la Chine lui est passé devant, en 2009 !), plaide au dernier G20 pour des restrictions budgétaires généralisées en Europe, et s’oppose à tout soutien à la consommation intérieure, elle « atteste » de la totale dépendance de l’économie allemande à l’égard des exportations et du commerce mondial. En effet, si celui-ci venait à chuter, c’en serait naturellement fini de la croissance de l’économie allemande !

Or, le commerce mondial est porté, dans de très importantes proportions, par les importations de la Chine, et des émergents…

Il en est de même des USA : en l’absence de consommation, ce seront les investissements des entreprises et les exportations qui relanceront (et relancent déjà, à vrai dire) la machine économique américaine.

Autre grand exemple : l’excédent commercial du Japon (càd la différence entre les exportations et les importations) a augmenté de 41.1% sur un an au mois de juin 2010, malgré une reprise de la consommation japonaise ! Cette augmentation est très nettement au-delà des attentes des économistes (en fait, c’est normal : rare sont les économistes qui n’accordent ne serait-ce qu’un seul regard aux indicateurs de la consommation intérieure des pays émergents…). Cette hausse de 41.1% de l’excédent commercial japonais s’explique seulement par la hausse des exportations vers l’Asie hors Japon, c’est-à-dire vers l’Asie émergente… Ces exportations vont redonner un peu de croissance à nos pays…suffisamment pour que notre désendettement s’étale dans le temps.

 

Votre point de vue est inhabituel !

Pourtant, ces chiffres sont là, cette réalité déjà présente. C’est en outre une analyse qui, bien qu’absente des grands médias comme des médias spécialisés, est très largement partagée par les meilleurs gérants de portefeuilles mondiaux (Carmignac Gestion, Franklin Templeton, DNCA, East Capital…) que nous avons, faut-il le rappeler, directement dans nos portefeuilles…

Et même autour de nous, nous pouvons en voir les effets : l’usine alsacienne de Peugeot, très implantée en Russie et de plus en plus en Chine, recrute actuellement, à Mulhouse, plus de 300 personne, et a annoncé un recrutement de 500 personnes supplémentaires à partir du mois d’octobre… Ce n’est pas pour vendre les véhicules produits en Europe, je vous l’assure ! L’État-major de Peugeot réfléchit en outre, aujourd’hui, à installer des usines en Chine, pour vendre en Chine, les véhicules fabriqués en Chine…

 

C’est le monde à l’envers ?

Oui !

En résumé, on peut dire ceci : le rapport de dépendance des pays émergents aux pays développés est déjà complètement inversé. C’est aujourd’hui un fait, déjà une réalité. C’est assurément l’événement le plus important de cette année 2010, voire de la décennie.

 

Qu’attendez-vous pour les marchés financiers au second semestre 2010 ?

Il nous semble que les marchés cessent doucement de s’affoler des déficits budgétaires des États développés : la crise grecque et les mesures de restrictions budgétaires leur permettent, sauf nouvel accident de parcours, d’envisager ces questions dans la durée. Comme le dit Jacques Attali, il y en a pour une dizaine d’années de désendettement !

 


Croissance sereine des émergents

Notre scénario de base est donc le suivant : le ralentissement de la croissance des pays développés, du fait de l’arrêt des plans de relance et des politiques d’austérité budgétaire, va diminuer les pressions inflationnistes dans les économies émergentes. Les États émergents pourront donc lever le pied sur leurs mesures anti-surchauffe et les hausses de taux d’intérêts.

Tout ceci est extrêmement favorable à un développement plus serein de la consommation au sein des économies émergentes – cette thématique reste la plus importante dans nos portefeuilles. Comme depuis plus d’un an.

 


Devises

En outre, le niveau faible des taux d’intérêts des pays développés va contribuer à la faiblesse de leurs monnaies par rapport aux monnaies émergentes. L’ensemble des monnaies émergentes sont attendues en hausse à la fois contre l’euro et contre le dollar ! Le zloty polonais et le rouble russe devraient connaître dès le second semestre une appréciation sensible contre l’euro, et le dollar (selon East Capital : le monde change, encore une fois !). Et cette baisse des monnaies des pays développés favorisera plus encore les exportations des pays développés à destination des pays émergents, qui connaîtront, quant à eux, une croissance moins explosive et plus sereine – et néanmoins extrêmement forte !

Il est à noter la récente réévaluation du yuan chinois par rapport au dollar, favorable aux importations chinoise – cette réforme s’accompagne aujourd’hui d’une réflexion de l’État chinois pour indexer la valeur du Yuan, non sur le seul dollar, mais sur un panier de devises… Signe de ce que le dollar perd peu à peu de sa superbe !

 


Pays développés

Nous privilégions encore les USA contre l’Europe, malgré un niveau de valorisation des marchés européens extrêmement faible : l’Europe est en effet aujourd’hui le marché le moins cher du monde ! Nous pensons encore que les entreprises américaines sont mieux armées que les européennes pour profiter des importations des pays émergents, et que les bilans bancaires américains sont aujourd’hui en moins mauvaise posture que ceux des banques européennes. Nous restons vigilants sur ce point, et changerons d’avis rapidement si des informations nous y amènent.

Au sein des pays développés, nous préférons exclusivement les grandes capitalisations tournées vers l’exportation à destination des pays émergents, capables en outre de profiter de taux d’intérêts bas, de la faiblesse de leur monnaie (euro, USD), ainsi que de l’inévitable hausse des monnaies émergentes.

Sauf nouvel accroc sur les dettes souveraines, nous allons connaître une accélération de la décorrélation de ces marchés : pays émergents largement en tête, puis USA, puis Europe. Un monde à trois vitesses, avec, pour le moment, plus qu’un seul moteur : la croissance de la consommation des pays émergents.

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