Planche à billet et risques géopolitiques

04 octobre 2012
12 min de lecture
economie-geopolitique

Le mois de septembre a vu de grandes avancées, sous la forme d’annonces importantes, et quasi-synchrones, de la plupart des banques centrales du monde développé. Les grandes manœuvres monétaires reprennent, face au ralentissement économique global dans le sillage de l’Europe, et dont on constate peu à peu les effets jusque chez les pays émergents à forte croissance.

Europe : l’annonce et ses effets

Nous avions signalés, dans notre analyse du mois d’août, comment Mario Draghi a déplacé l’analyse de la situation européenne, en évoquant le risque de convertibilité. Selon lui, les taux d’emprunts extrêmement élevés des pays périphériques du Sud de l’Europe, ne s’expliquent pas principalement par la situation à haut risque de défaut des budgets de ces pays, mais par la conviction des investisseurs que ces pays devront, tôt ou tard, quitter la zone euro, et recouvrer leurs monnaies nationales. Les pays du Sud payent donc une prime de risque importante liée aux doutes sur la pérennité de l’euro.

Dans ces conditions, il entre dans le mandat de la BCE, conduite par Mario Draghi, d’agir pour assurer «l’irréversibilité de l’euro», sans que les pays solides de la zone ne puissent s’y opposer. Aussi, il a pu annoncer que la BCE s’engage à soutenir, de façon illimitée, les pays européens qui appelleront à l’aide leurs partenaires, et dans lesquelles le MES (Mécanismes Européen de Stabilité) aurait décidé d’investir.

Très importante pour les marchés de la dette publique, cette annonce permet à la BCE de venir, de façon illimitée, en soutien au MES, dont la surface financière ne cesse d’être insuffisante, au regard des besoins colossaux de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal, de la Grèce en particulier…

Cette annonce très importante n’a pas manqué de diminuer le risque systémique en Europe: les taux d’emprunts espagnols ont assez nettement baissés (bien qu’ils restent intenables), un temps du moins. Il semble qu’enfin, l’Europe se dote d’une banque centrale «quasi-prêteuse en dernier ressort» des États en difficulté, comme partout ailleurs dans le monde – et que la bizarrerie monétaire zombiesque de l’Europe ait enfin pris fin!

Pourtant, comme toujours, le diable est dans les détails: seul le «caractère illimité» du soutien de la BCE est en effet capable d’apaiser les marchés et le risque systémique. En effet, si ce soutien est illimité, les investisseurs qui acceptent de prêter aux États en difficulté, pourront toujours revendre leurs obligations, même si cet État est amené à faire défaut sur sa dette.

Pourtant, les statuts de la BCE lui interdisent catégoriquement de pouvoir émettre de la monnaie (la fameuse planche à billet) de façon illimitée, contrairement à ce qui existe partout ailleurs dans le monde.

Comment la BCE peut-elle offrir un soutien illimité aux États en difficulté, dans ces conditions? Mario Draghi a annoncé qu’à chaque fois qu’il agirait pour aider un État, il stériliserait les sommes injectées. C’est dire qu’aussi vrai que les injections monétaires pourront être illimitées, la banque centrale européenne sera dans l’obligation, de façon aussi illimitée, de retirer des sommes équivalentes du circuit monétaire. Comment va-t-elle s’y prendre ? Ce n’est pas précisé – on peut toutefois penser qu’elle vendra des obligations d’entreprises, à chaque fois qu’elle financera des états, ce qui ne manquera pas d’augmenter le coût d’emprunt des entreprises européennes, et pèsera encore plus sur la récession économique en œuvre en Europe.

En outre, la seconde condition imposée par la BCE, est que l’état en difficulté doit «appeler» l’Europe à l’aide: il doit donc accepter de se placer sous tutelle budgétaire des institutions de la zone euro, et de mettre en œuvre des réformes particulièrement difficiles, qui ont prouvées jusqu’ici leur incapacité à sortir les pays du cycle autérité budgétaire-récession-hausse des taux d’emprunts, dans lequel s’enfoncent toujours un peu plus la Grèce, l’Espagne, etc.

En outre, le mécontentement populaire, en Espagne particulièrement, qui applique ces réformes de façon rigoureuse et préventive afin d’éviter une telle tutelle, pourrait créer une situation de confiscation de la démocratie socialement très complexe à accepter.

Ainsi, l’Espagne retarde le plus possible sa demande d’aide à la zone euro l’Allemagne, la Finlande et les Pays Bas (les trois pays triple A de la zone euro) incitent l’Espagne à ne pas recourir à cette «aide» et il semble que la BCE compte sur l’effet de son annonce, mais aspire à ne surtout jamais mettre en œuvre ce programme! Le pouvoir des mots est immense en économie.

Enfin, une grande décision du sommet européen du mois de juin 2012, avait permis de casser le lien fatal entre les états et les banques des pays en difficulté. Les banques espagnoles ont en effet vitalement besoin d’aide. La solution consiste habituellement à prêter de l’argent à l’état espagnol, qui l’injecte par la suite dans ses banques. Le vice fatal est que, ce faisant, on accroit la dette de l’État, qui risque de ne plus pouvoir se financer sur les marchés de ce fait. On se souvient du cas de l’État irlandais, qui, après avoir sauvé sa plus importante banque de la faillite a dû appeler l’Europe à un sauvetage global de l’État lui-même, qui s’était retrouvé en faillite suite à cette aide.

Aussi, il avait été décidé, contre l’Allemagne et les pays triple A d’Europe, que le fonds européens (le MES) pourrait prêter directement aux banques, sans passer par les États: le MES pourrait donc aider directement les banques espagnoles, sans aggraver l’endettement de l’Etat espagnol. Or, il y a à peine une semaine de cela, l’Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas ont déposé un recours, afin que le MES ne puisse financer directement que les dettes des banques souscrites à compter de maintenant! C’est-à-dire que l’Etat espagnol va devoir se débrouiller seule avec ses banques… En juin, 100 milliards d’euro (sic!) avaient été promis à l’Etat espagnol en situation de très urgence en octobre, pas un cents de cette aide promise n’a encore été versée. Mais les marchés accueillent pour le moment ces annonces comme des progrès durables.

 


USA : la planche à billet au service de l’immobilier

En septembre également, la banque centrale américaine (la Fed) a annoncé un nouveau volet de son programme d’injection monétaire, le fameux Quantitative Easing no. 3. De façon illimitée dans le temps (c’est une première), elle va racheter pour 40 milliards d’USD, par de la création monétaire, de créances hypothécaires aux banques tous les mois!

L’objectif de Ben Bernanke, président de la Fed, est de soutenir «artificiellement» le début de frémissement de reprise de l’immobilier américain, en espérant que le «sentiment de richesse» des américains propriétaires les pousse à consommer, et à participer plus encore à la reprise de l’économie américaine. L’économie américaine (et mondiale) est en effet si atone, que le risque que ceci ne déclenche une inflation galopante est très faible.

Mais un tel usage de la planche à billet en dollar US n’est pas sans conséquence sur le reste du monde. Déjà, lors du premier semestre l’année dernière, la planche à billet avait fortement fonctionné aux USA: cette première «expérience» américaine nous permet aujourd’hui d’en anticiper certains effets.

 


Effets géopolitiques du QE2 vs. QE3

Matières premières agricoles

Lors du précédent QE, au premier semestre 2011, les matières premières avaient flambées (pétrole, aussi bien que l’or, et les matières premières agricoles). De nombreux pays pauvres éprouvaient de très grandes difficultés à s’alimenter, ce qui a provoqué le déclenchement du «printemps arabe».

Aujourd’hui, la décision du QE3 intervient alors même que les matières premières agricoles sont déjà à des prix extrêmement élevés. Cette décision de la Fed ne manquera pas de pousser encore plus loin la hausse ces matières premières. À l’époque de la crise syrienne et surtout, iranienne, une telle décision devrait déstabiliser plus encore ces pays, servant ainsi, semble-t-il, les intérêts américains. Le 1er octobre 2012, le rial iranien a perdu 17% de sa valeur en une seule journée! La monnaie iranienne a ainsi perdu 75% de sa valeur face au dollar en une année. La population iranienne qui souffrait déjà de la hausse des matières premières agricoles, devra payer d’autant plus cher encore pour son alimentation! Enfin, l’embargo bancaire contre l’Iran prive sa banque centrale de réserves de devises, lui permettant de contrôler sa propre monnaie.

Dans le contexte actuel, l’usage américain de l’arme dollar devrait fragiliser de nombreux pays arabes et africains, et risque de permettre l’extension des activités de l’AQMI (Al Qaeda Maghreb Islamique) en Afrique de l’Est et au Moyen Orient.

Vers une hausse du pétrole

Mais une telle décision, lors du dernier QE2 au premier semestre 2011, avait également été néfaste pour l’économie américaine: la hausse du prix pétrole (consécutive à l’anticipation de la baisse de la valeur du dollar US, du fait de l’impression monétaire massive américaine), la hausse du pétrole, donc, avait mené l’économie américaine au bord de la récession en juin 2011, ce qui avait conduit la Fed a cesser son programme «expérimental».

Aujourd’hui, une telle hausse du pétrole serait également fatale à la faible (mais néanmoins réelle) croissance américaine actuelle. Mais l’histoire ne se répète jamais.

Nous avions déjà montré comment le bras de fer syrien, entre les USA (du côté des rebelles) d’un côté, et la Russie et la Chine de l’autre côté, empêchait le prix du baril de baisser autant que cela aurait été nécessaire au vu de l’actuel ralentissement mondial. Ce faisant, la Chine privait les États-Unis de leur planche à billet, et se protégeait ainsi des risques inflationnistes induits chez elle par une telle impression monétaire (cf. Hollande, la Syrie et la Fed). Un prix du baril élevé reste l’arme absolue des émergents contre les abus de pouvoir du dollar américain.

De façon surprenante, le baril du pétrole, au lieu de monter suite au QE3, a perdu près de 10% de sa valeur ces derniers jours. C’est que le jeu des alliances au Moyen Orient fonctionne, et l’Arabie Saoudite, allié historique des États-Unis, a annoncé, presque immédiatement après la décision du QE3, vouloir augmenter sa production de pétrole de façon importante. Cette hausse de la production de pétrole, alliée au ralentissement économique mondial, a contré jusqu’à présent les effets sur le pétrole des injections monétaires américaines.

Enfin, certains dirigeants des pays émergents, notamment Madame Dilma Roussef, présidente du Brésil, a vivement protesté contre cette décision unilatérale de la Banque Centrale américaine.

Une période d’avant-guerre

Les tensions géopolitiques retiennent aujourd’hui toute notre attention dans nos portefeuilles. En effet, les élections américaines en novembre, laisseront jusqu’en janvier, les États-Unis sans président en exercice, comme d’ordinaire. Le hasard des calendrier fait qu’en Chine également à cette même période, Hu Jintao cèdera le pouvoir à une nouvelle équipe menée par Xi Jinping. Aussi, les deux premières puissances mondiales seront sans dirigeants pendant les mois de cette fin d’année. Israël pourrait profiter de cette fenêtre pour attaquer l’Iran, et forcer les alliances à se déclencher à l’échelle mondiale?

En tout état de cause, les tension sino-japonaises actuelles, le conflit interne au gouvernement chinois dans la succession de Hu Jintao (qui a causé la disparition du futur président chinois pendant quelques semaines récemment, sans que personne ne sache officiellement où il se trouve, ainsi que l’exclusion surprise du Parti Communiste Chinois de son futur Premier Ministre, Bo Xilai), la réception accélérée par la Chine de son premier porte avion le 28 septembre cette année, les opérations de placement militaire dans le détroit d’Ormuz émanant des USA, de l’Europe, de la Chine, et de l’Iran, le blocage de Google par l’Iran sur son territoire, la décision unilatérale de la Fed de déclencher un QE3, la radicalisation des opération de l’AQMI en Afrique de l’Est et au Moyen Orient, donne à penser que ce risque est à considérer d’ici la fin du mois de janvier 2013.

 


Nos portefeuilles

Nous restons donc extrêmement défensifs dans nos positions. Pour l’heure, les marchés sont portés par les injections monétaires massives des pays endettés (USA, Europe, Japon, UK). Et nous ne voyons pas de valeur durable dans les pays où la planche à billet fonctionne ou est prête à fonctionner. Nous nous concentrons toujours sur les obligations des pays sans difficultés budgétaires, disposant de monnaies fortes et de croissance potentielle importante (Suède, Australie, Canada, certains pays émergents.

La Suède, en particulier, à contre-courant des autres pays européens, vient de baisser ses impôts (sic), ses taux d’intérêts, et de mettre en place un plan de relance économique. Sa très bonne santé budgétaire, ainsi que ses réserves de changes, le lui permettent sans que cela n’accroisse en aucune la dette de cet État. Ce sont ces pays, et les devises de ces pays, qui seront les valeurs refuges du monde demain.

Vigilant à l’extrême sur les évènements de ce prochains mois, nous entrerons dans nos portefeuilles certains nouveaux gérants, que nous avons rencontrés lors de récents déplacements. Ces gérants de très haute qualité nous intéressent, tant par leurs performances en cette complexe époque, leur méthode et leur philosophie d’investissement, et les informations dont ils peuvent disposer: il s’agit en particulier d’un gérant œuvrant au sein de Bank of New York, et d’un autre de la société de gestion américaine Fidelity.

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