« L’homme qui, mort, marche »
L’été 2011 a été le théâtre d’une très forte baisse des marchés : notre CAC 40 national a enchaîné, pour la première fois de son histoire, 13 séances consécutives de baisses ! Cet indice perd un peu plus de 27% du 1er juillet au 6 septembre. Nos portefeuilles ont très bien résisté à cette forte chute, et s’apprécient même sensiblement pendant l’été (+1.98% pour le mandat patrimonial équilibré). Nos analyses macro- économiques, souvent à contre-courant du consensus, se sont en effet avérées exactes.
A ce jour, nos portefeuilles battent très nettement les indices des marchés : notre cher CAC 40 présente une chute de 22.06% depuis le 1er janvier 2011. Nous surperformons sensiblement cet indice, selon les profils, d’un peu plus de 14% depuis le début de l’année.
Notre seul regret, cette année, est d’avoir anticipé ces ?évènements un peu trop tôt : nous n’avons pas su deviner les imprévisibles et éphémères conséquences de l’impression de 105 milliards de USD par mois, réalisée par la FED jusqu’au 30 juin – ce qui explique que nos performances soient, pour l’instant encore, quelques peu négatives depuis le premier janvier.
Depuis début 2008, date de la création de nos mandats patrimoniaux, les marchés actions mondiaux ont traversé deux corrections majeures, et affichent une performance très sensiblement négative de – 43,27% ; pendant ce temps, nos mandats patrimoniaux s’appréciant en moyenne d’un peu plus de +18%.
En trois ans et demi, nous surperformons les indices des marchés mondiaux en moyenne de 68,57%.
Seul le temps, en particulier dans des marchés erratiques, permet à notre travail de porter réellement ses fruits. Nous remercions chacun de nos clients de leur confiance.
L’heure de vérité
Dans notre précédente analyse (cf. le cygne étincelant), nous avons posé le nouveau décor de la géopolitique mondiale, en place ouvertement depuis le mois de juillet 2011. Les deux éléments fondamentaux sont les suivants :
1er élément : nous ne disposons hélas pas de boule de cristal, mais, conformément à notre philosophie de gestion, nous tenons nos convictions dans la durée, en nous collant au fondamental, malgré certaines errances des marchés, errances aussi inévitables qu’éphémères.
Aux USA, lors des terribles négociations entre Obama d’un coté, et les Tea Party et républicains de l’autre, nous ont révélé à quel point aucune décision sérieuse ne peut être prise au niveau politique. La radicalité, osons le dire, imbécile, des Tea Party, qui militent purement et simplement pour l’abolition de l’Etat fédéral américain, et la suppression de la totalité des aides sociales dans le pays, a suffit à mener au bord du précipice l’Etat américain. Heureusement, un accord tellement a minima qu’il en devient ridicule, a pu être trouvé…in extremis.
En Europe, le spectacle n’a guère été plus réjouissant : les négociations du mois de juillet, vitales tant pour la Grèce que pour la survie de la zone euro, ont été le théâtre de dissensions politiques naissantes. Les pays « jugés solides » de la zone Euro (en particulier l’Allemagne et la Finlande), freinaient des quatre fers pour ne pas avoir à aider à nouveau la Grèce, au mépris des conséquences pour toute la zone euro. Devant un tel blocage des négociations, et pour éviter une catastrophe immédiate, Sarkozy, Lagarde (FMI) et Trichet ont dû céder à l’exigence allemande, selon laquelle les banques devraient participer à ce sauvetage. Autrement dit, cette exigence implique un défaut temporaire de la Grèce sur le remboursement de sa dette – défaut qui a été, à juste titre, qualifié par Jean-Claude Trichet de « scénario de l’horreur » (cf. notre précédente chronique : Le Cygne étincelant).
Finalement, un accord, qui ne résout rien s’il est appliqué, a été décidé le 21 juillet 2011, pour sauver une nouvelle fois le soldat grec.
Les avancées politiques se font aujourd’hui à reculons et a minima, et les débats sont pollués par des ambitions électoralistes de court terme. En résumé : aucune décision véritable ne nous semble pouvoir être adopté par aucun gouvernement européen ou américain avant les prochaines élections.
Le second élément est la récession économique de tous les pays développés (USA, Europe, Japon) qui se confirme jour après jour, indicateur après indicateur.
Nous annoncions début août qu’il semble qu’une crise financière majeure devrait se produire bientôt – la réalité ne remet pas à plus tard. Et le mois d’août a vu s’accélérer à la fois les évènements, et leur déni presque systématique.
« Tout est simple »
Cette citation est de Milton Friedman.
Il nous paraît de plus en plus évident que nous n’échapperons pas, peut-être à très court terme, à une crise financière majeure. Voici pourquoi.
Le plan de sauvetage de la Grèce décidé le 21 juillet pourrait ne pas être appliqué :
1) En effet, nous avons découvert avec stupeur (mais, à vrai dire sans surprise) que, dès début août, la Finlande, après avoir voté le soutien à la Grèce, négociait « en douce » avec la Grèce des garanties supplémentaires. En résumé, la Finlande avait accepté de prêter 100 € au Fonds Européen de Stabilisation Financière, mais exige aujourd’hui discrètement que la Grèce lui en reverser 40€ immédiatement… Bien placé, avec le temps, ces 40€ redeviendront les 100€ prêtés. Ainsi, la Finlande serait le seul pays européen à ne pas risquer de perte financière sur la Grèce…
Mais le loup ayant finalement été révélé, la France et les Etats du Sud ont adressés de francs reproches à cette attitude de la Finlande. A l’opposé de cela, nous avons vu l’Autriche, la Slovaquie, et certains dignitaires allemands déclarer qu’ils souhaitaient pour eux les mêmes garanties…ce qui rend purement et simplement le plan inapplicable… A l’heure où nous écrivons ces lignes, les parlements nationaux n’ont pas encore voté ce plan de sauvetage grec, et la Finlande a annoncé qu’elle pourrait se retirer du plan si elle n’obtenait pas ces garanties…
2) Début août, le gouvernement grec a accueilli une mission d’expert de la «troïka» (c’est-à-dire de la Commission Européenne, de la Banque Centrale Européenne et du FMI), afin d’auditer les évolutions des finances publiques de la Grèce, dans le but de libérer (ou non) la cinquième tranche d’aide du premier plan de sauvetage de la Grèce.
Or, au bout d’à peine quelques jours, les experts du FMI ont quittés brutalement la table des négociations. L’un d’entre eux a fait une déclaration officielle en disant que la dette grecque était « hors de contrôle », que la récession en Grèce serait, dès cette année, beaucoup, beaucoup plus profonde encore qu’attendue, et que les mesures promises par le gouvernement grec n’avait en réalité pas été mises en œuvre.
Ceci donne fortement à penser que la cinquième tranche d’aide …non pas du plan voté le 21 juillet, mais du précédent plan de sauvetage (!!!), ne sera peut-être pas libérée – ou, tout au moins, que le FMI refusera d’y apporter son concours…
Immédiatement après, survient le déni de cet arrêt des négociations : Le premier ministre grec a ré-itéré sa confiance dans le fait que son pays sorte grandi de cette crise, et son ministre des finances affirmait que les négociations s’étaient arrêtées, pendant dix jours, « d’un commun accord pour permettre à la Grèce de mettre en œuvre ses réformes structurelles »… Des réformes structurelles…en dix jours !!! Il s’agit simplement de nier, politiquement, la réalité des faits – les reconnaître seraient immédiatement dévastateurs.
Notez que, le lendemain, la directrice du groupe parlementaire grec, en charge des négociations avec le FMI a posé sa démission… Belle ambiance…
3) Au même moment, les banques françaises dévissent sur les marchés et la solvabilité de l’Etat français est attaquée: En effet, début août, les banques françaises ont connu une correction historiques de leurs cours en bourse. La Société Générale, sur des « rumeurs » de faillite, a perdu près de 50% de sa valeur en quelques jours (!) et, ce qui est plus grave encore, c’est qu’aucune banque française n’a été épargnée. Même BNP Paribas a baissé de plus de 25% pendant cette période, enchaînant des baisses de plus de 7% par jour…
Mais, pas d’inquiétudes, nous a-t-on dit. Et les déclarations se sont succédées… « Les banques françaises sont les mieux capitalisées d’Europe », nous dit-on. Et le président de la SG nous a même expliqué que la baisse des cours provenait d’un annonceur, qui aurait pris une fiction politique parue dans le journal le Monde, pour argent comptant ( !). Mais la palme du déni politique revient assurément à Madame Parisot, présidente du Medef, qui nous assuré de la solidité des banques françaises, et a dénoncé d’horribles agressions spéculatives en provenance des USA et de Londres… On dénonce la rumeur et la méchante spéculation.
Pour nous, la réalité est beaucoup plus simple : comme nous l’annoncions dans notre dernière chronique, que le plan de sauvetage de la Grèce décidé le 21 juillet dernier, soit mis en œuvre ou non, il y aura de toute façon un défaut de paiement de l’Etat grec, puisque ce plan lui-même en prévoit un (merci l’Allemagne !).
Or, tout défaut de l’Etat grec, même temporaire, sélectif ou encadré, risque d’entraîner une règlement des CDS, ces assurances contre le défaut de paiement des dettes d’Etat (cf. Le cygne étincelant). Ceci signifie que, en cas de défaut grec, les banques et les compagnies d’assurances devront non seulement essuyer les pertes sur leurs fonds propres liées au défaut grec, provisionner pour indemniser leurs clients en fonds en euro…et, en plus, indemniser du même montant, autant de fois qu’il y a de détenteurs de CDS sur la dette grecques, les autres investisseurs. Ceci pourrait déclencher une crise financière majeure, qui pourrait avoir lieu ces prochains mois. Voici, à notre avis, pourquoi les banques baissent…
Mais les banques françaises sont les mieux capitalisées d’Europe, nous dit-on. Elles pourront faire face à ces échéances.
Les médias sont les médias
Face à ce discours officiel, tournons-nous vers les faits qui sont plus intéressants. Pendant ce temps, plusieurs évènements, particulièrement intéressants, se sont produits, dans le silence des marchés :
a) Il est en effet particulièrement intéressant de remarquer que, pendant que les présidents de banques, les responsables politiques de tous bords s’insurgent contre ces « attaques spéculatives » contre des banques « très solides », les taux du marché interbancaire ont atteint des niveaux records, jusqu’à entraîner la quasi-fermeture de ce marché (c’est le cas à l’heure où nous écrivons ce texte…) – ce qui signifie que les banques françaises ne se prêtent plus d’argent entre elles…de peur de voir leur créancière faire faillite… Les banques ne se font plus confiance entre elles.
b) Il est intéressant de noter que cinq banques chinoises ont coupé, le même jour, toutes leurs lignes de crédits à toutes les banques françaises, et que celles des banques américaines qui continuent de prêter en dollar aux banques françaises rétrécissent de façon drastiques la durée de leurs prêts.
c) Il est intéressant aussi de noter qu’aux USA, la Fed a convoqué une réunion de crise, afin d’examiner dans quelle mesure, si une banque française allait mal et devait rapatrier d’un coup ses capitaux investis aux USA, le système bancaire américain pourrait être entraîné dans sa chute. Depuis cette réunion, la Fed a ordonné à l’ensemble des banques françaises de lui signaler, hebdomadairement, tout rapatriement de fonds vers la France.
d) Il est particulièrement intéressant de remarquer que, pendant que nos journaux nous rassurent sur nos banques nationales afin d’éviter une crise de confiance, la BCE a dû octroyer un prêt d’urgence de 5 millions d’€ à une banque européenne, sans dire laquelle naturellement.
Or, suite à cette aide exceptionnelle (qui révèle qu’au moins une banque européenne se trouvait dans l’incapacité de rembourser une dette et se trouvait donc en faillite…pour 5 petits millions d’euros !!!), suite à cette aide exceptionnelle donc, la BCE a déclaré officiellement que c’était une erreur d’interprétation et que cette aide n’avait pas eu lieu – alors qu’elle est publiquement indiquée sur son site, conformément à ses engagements statutaires… Le déni, toujours : une seule mission, rassurer.
e) Il est particulièrement intéressant de remarquer encore qu’une seule voix, au milieu du concert de la dénégation politique, a tranché dans le ton grivois des commentaires et autres explications: il s’agit de Christine Lagarde, directrice du FMI.
Elle a en effet solennellement demandé une? recapitalisation, en extrême urgence, des banques européennes, afin qu’elles puissent faire face à un ralentissement économique et aux défauts sur les dettes d’Etats. En précisant que nous n’avions plus du tout le luxe du temps pour tergiverser, et qu’une recapitalisation de plus de 200 milliards d’euros était la seule façon d’enrayer la contagion de la crise. Elle s’est naturellement attiré immédiatement les foudres de tous les dignitaires politiques et économiques, à l’exception de l’Elysée… Même Jean-Claude Trichet en personne l’a rabrouée en disant, toujours, que…les banques européennes étaient bien capitalisées, qu’une telle déclaration était irresponsable, etc…
Pourtant, elle a selon nous parfaitement raison.
f) Car en effet, la crise de la dette se propage rapidement en Europe, à l’Espagne et à l’Italie d’abord et encore aujourd’hui…mais aussi, à la France ! Nous avons vu les CDS sur la dette française atteindre des niveaux historiques, dont ils ne sont pas redescendus. C’est que la situation paraît sans issue : soit la décision du 21 juillet, qui comprend, rappelons-le, un défaut grec (merci Angela Merkel!), est mise en œuvre, et les banques françaises (mais pas seulement !) devront faire face à de forte dépréciations d’actifs, qu’elles ne peuvent assumer au vu de très faible niveau de fonds propresréels; les banques seront alors amenées à réduire les crédits aux entreprises et aux personnes privées, voire à faire faillite, et plongeront l’économie française encore un peu plus dans la récession. Cette récession réduira fortement les recettes fiscales, déjà insuffisantes, de l’Etat français…et celui-ci ne pourra que difficilement ne pas faire défaut à son tour ! Voici pourquoi, à notre avis, le prix des assurances sur le défaut de l’Etat français explose.
En outre, comme il certain que la Grèce ne pourra pas rembourser ces dettes, la participation de la France au sauvetage de la Grèce sera irrémédiablement perdue : or, cette aide française, donnée d’abord sous forme de garanties, correspond à…une année des recettes de l’impôt sur le revenu en France.
g) Aussi, afin de contrer la rapide dégradation de la solvabilité de l’Etat français, Nicolas Sarkozy a dû monter, en toute urgence, un plan de restriction budgétaire et fiscale, pour éviter que les vivres ne soient immédiatement coupés à l’Etat français…ce plan, vital, est actuellement cours de discussion.
h) L’Italie a dû faire de même. Mais, si Berlusconi a impressionné au départ par sa rapidité à faire admettre un plan d’austérité budgétaire…celui-ci est modifié tous les jours, et ne devrait finalement pas entrer en vigueur avant …2013…et finalement, nul ne sait s’il sera appliqué effectivement. Comment pourrait-on limiter la contagion de la crise à l’Espagne et à l’Italie ?
i) En outre, peu de temps après, vers le 20 août, le directeur de l’IASB (cercle qui élabore et contrôle les normes comptables au niveau mondial) s’alarmait de ce que les banques françaises n’avaient pas provisionné à leur juste valeur, dans leurs comptes, les pertes qu’elles vont devoir supporter par rapport au défaut grec. Les principales sociétés visées sont… CNP Assurances (les fameux fonds en euros…) et BNP Paribas! Mais pourquoi donc ? Je vous le demande.
Pendant ce temps, les taux d’emprunts espagnols et italiens flirtent à nouveau à leurs records historiques, preuve que la contagion est en marche.
Les taux d’emprunts de l’Etat grec, à un an, s’élèvent, ce soir, à…82% !!! C’est le taux d’intérêt que doit payer l’Etat grec pour emprunter sur un an…
Jacques Delors, père fondateur de notre chère Europe, a déclaré que « l’Europe est au bord du gouffre ». La seule solution, selon lui, serait d’avancer très vite vers plus d’intégration, et vers une mise en commun des dettes des pays – les fameuse « euro-obligations » refusée catégoriquement jusqu’à ce jour par l’Allemagne…
j) Les « euro-obligations » passent pour être la solution miracle à laquelle se raccrocher. Néanmoins, les espoirs concernant ces obligations viennent d’être «douchés» par l’agence de notation Standard and Poors : le nouveau directeur de S&P (en effet, celui qui a dégradé la note des USA début août, a été limogé…) le nouveau directeur de S&P, donc, a en effet déclaré qu’en cas de mise en commun par plusieurs pays d’un emprunt, celui-ci ne pourrait avoir d’autre notation que celle du pays le plus faible qui en est garant… Autrement dit, si ces euro-obligations sont un jour mises en œuvre de cette façon, et que la Grèce y participent, les euro-obligations seront considérées comme …des junk-bonds, des obligations pourries…et donc, des taux d’intérêts insurmontables seraient demandés au Fonds de Stabilisation Financière Européen.
Ces taux d’intérêts ne manqueraient pas d’entraîner les « pays encore solides » de la zone euro vers la déliquescence budgétaire. Voici ce qui entraîne les CDS français à leur record historique : que la France puisse, à terme faire défaut sur sa dette, devient possible à terme.
Et n’oublions pas, dans tout cela, qu’on ne pourra pas compter sur la croissance économique pour éponger tout ceci : un fort ralentissement, qui prend des allures de récessions mondiales, est en train d’être avéré.
Conclusion
Nous ne voyons pas, aujourd’hui, de raison d’être optimiste sur l’avenir de la zone euro dans sa forme actuelle : nous surveillerons de près les décisions des différents parlements, et, concernant l’économie, les décisions liées à d’éventuels nouveau stimuli économique aux USA notamment. Il n’est pas impossible certaines banques centrales décident de remettre en marche la planche à billet – mais cela ne fera que retarder et empirer les effets de la crise. Ce n’est pas notre scénario, mais nous nous y préparons.
Nous préservons toujours nos portefeuilles d’une probable aggravation de la crise financière en cours, en couvrant nos positions et en ciblant les pays et les devises qui possèdent un système bancaire aussi sain que possible, et surtout une situation budgétaire solide.
Enfin, nous continuons de construire patiemment notre portefeuille afin 1) de nous préserver de la crise financière à venir, 2) de pouvoir nous exposer fortement, dès que le moment sera venu (c’est trop tôt à ce jour), à la consommation intérieure des pays émergents: elle sera la grande gagnante du ralentissement en cours dans les pays développés.
En attendant, «The Walking Dead Man» (l’homme mort, qui marche), c’est ainsi que les traders nomment la Société Générale, dans les salles de marchés londoniennes et américaines en ce moment.