L’effet papillon japonais

La crise des marchés de ces derniers jours & nos stratégies de portefeuilles

Nous venons de vivre ces derniers jours un exemple magistral de la théorie de l’effet papillon sur les marchés mondiaux. Vous savez, il s’agit du principe qu’Edward Lorenz a mis en évidence en 1963 dans la théorie du chaos appliquée à la météo, qui montre qu’une infime variation d’un élément apparemment parfaitement négligeable peut avoir des conséquences majeures, systémiques et globales : en résumé, le battement d’aile d’un papillon en Australie peut déclencher un ouragan aux USA.

Et en effet, les marchés financiers mondiaux ont été le théâtre ces derniers jours d’une crise majeure des actifs les plus recherchés jusque là : les plus grandes capitalisations boursières mondiales (Apple, Tesla, Amazon, Microsoft, Nvidia…) ont perdu de 20 à 30% de leur valeur en quelques jours, le marché japonais a chuté de 25% (dont 12% en une seule journée !), le Bitcoin a perdu plus 20% de sa valeur entre le 27 juillet et les premiers jours du mois d’aout… En quelques jours, 7500 milliards de dollars se sont envolé sur les marchés…

 

L’aile du papillon

Qu’est-ce qui a causé cette crise ? La cause infime, le battement d’aile du papillon a été la hausse surprise de … 0,15% du principal taux directeur de la Banque Centrale du Japon (Bank of Japan). Vous lisez bien ! Cette hausse très faible a porté les taux de la BOJ à 0,25%… Pas de quoi fouetter un chat, non ?

Seulement, les grands investisseurs s’étaient habitués à avoir des taux japonais proche de 0% depuis plus de dix ans; ils s’étaient habitués à ce que le Japon soit la seule région au monde qui n’augmente pas ses taux même en cas de retour de l’inflation; ils s’étaient persuadés que ces taux ne bougeraient jamais…

Le Japon est ainsi le seul pays au monde à ne pas lutter contre l’inflation : il continuait de permettre aux investisseurs internationaux d’emprunter des yens à 0% d’intérêts, avec une monnaie en chute libre par rapport aux autres monnaies et au dollar US en particulier.

Ainsi, depuis plus de dix ans, des grands investisseurs internationaux, aussi bien que les épargnants japonais, avaient pris l’habitude d’emprunter à 0% des sommes astronomiques en yen, pour les investir dans d’autres monnaies dans le monde, et dans des actifs à meilleurs rendements (les grandes actions américaines, les “7 magnifiques” en particulier, les bons du trésor américain avec un rendement proche de 5%, le Bitcoin, etc…). Comme l’opportunité était stable dans le temps, ils ont pris des effets de leviers – en utilisant des options pour investir sur les marchés hors Japon plus de 5 fois les sommes empruntées au Japon.

Tant que les taux d’emprunt au Japon restent à 0%, tant que la monnaie japonaise continue de s’effondrer vis-à-vis de toutes les monnaies, et tant que les actifs en dollars continuent de s’apprécier, ces opérations dite de “carry-trade” sont extrêmement rentables.

 

Le battement de l’aile : La très légère hausse des taux de la Banque centrale du Japon

Or, le 31 juillet 2024, dans un geste surprise, Kazuo Ueda, le nouveau gouverneur de la Banque du Japon, a annoncé dans une conférence de presse avoir augmenté les taux d’intérêt de la Banque centrale du Japon de 25 points de base, soit un quart de pour cent – à la surprise générale ! En outre, il a tenu un discours indiquant que ce n’était pas la dernière hausse.

En l’espace de quelques heures, juste pendant le temps de sa conférence, la monnaie japonaise s’est apprécié soudainement de près de 4% par rapport au dollar, et a continué de s’apprécier ensuite : entre le 11 juillet 2024, et début août, le yen s’est apprécié de 11% par rapport au dollar – ce qui est très important pour une grande devise mondiale.

En outre, les derniers chiffres aux USA montraient un léger ralentissement de la croissance américaine, en ligne d’ailleurs avec nos anticipations.

Ainsi, les “carry trader” allaient devoir rembourser en yen, en forte appréciation, des placements réalisés en dollars et en d’autres monnaies, qui commencent à revoir à la baisse leur croissance future, et dont la monnaie de référence se déprécie face au yen…

Ajoutez les appels de marges – et en quelques quatre jours, nous avons assisté à une liquidation généralisée et à n’importe quel prix des actifs auparavant les plus recherché partout dans le monde : l’ensemble des bourses mondiales (tant aux USA, en Asie, en Europe, au Japon, les Cryptos, etc…) se sont fortement dépréciées, plus de 7500 milliards de dollars sont partis en fumée en l’espace de quelques jours – c’est l’effet de la liquidation anticipée à n’importe quel prix des opérations de carry trade en yen japonais.

Puis, le matin du 6 août 2024, la Banque centrale japonaise a annoncé qu’elle tiendrait compte à l’avenir, dans ses prochaines décisions de hausse de taux, de la vulnérabilité des marchés financiers…(sic!) Et il y a eu un relativement fort rebond du marché japonais, qui traduit plutôt à notre sens une intervention artificielle et concertée de la banque centrale pour faire cesser la panique, plutôt qu’à un vrai retour des investisseurs. A suivre.

 

L’enjeux

La Deutsche Bank évalue à plus de 20 trilliards d’USD (soit 20 000 milliards d’USD, près de 10 fois le PIB de la France…), les positions en Carry Trade dans le monde, qui vont devoir être liquidée plus ou moins progressivement, à mesure que l’écart des taux entre le Japon et les USA va se réduire. Ce retrait massif de liquidité des marchés mondiaux dû à la nécessaire liquidation du carry trade en yen va permettre à la banque centrale US de réduire ses taux, sans craindre une envolée des marchés.

 

Notre stratégie de portefeuille

Nos portefeuilles, qui n’étaient pas investi depuis fort longtemps sur ces valeurs très (trop) recherchées, que nous jugeons inhabituellement chères depuis de nombreux mois, n’ont été secoué que de près de 4% environ sur la période. Lundi 5 août, avant l’ouverture du marché, nous avons mis en place certaines couvertures sur nos actions.

Les marchés, après ces baisses de valorisation marquées (-30% sur Nvidia…), présentent de nombreuses opportunités, même si le marché US reste globalement encore un peu cher.

L’horizon est désormais encore plus dégagé pour les prochaines baisses de taux de la Fed.

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