Le problème de l’euro

16 novembre 2011
10 min de lecture
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L’Allemagne contre l’Europe ?

« Un homme vous dit qu’il est en train de mentir. Est-ce que ce que cet homme vous dit est vrai, ou bien faux ? ». Ce célèbre paradoxe d’Epiménide, philosophe du VIIème siècle avant notre ère, a longtemps effarouché les logiciens de Grèce ancienne. Logiquement, il se traduisait en effet de la façon suivante : si ce qui dit cet homme est vrai (« qu’il est en train de mentir »), alors c’est faux (« puisqu’il dit la vérité ») ; si ce qu’il dit est faux, alors c’est vrai.

Il nous semble que ce paradoxe caractérise également l’attitude de l’Etat allemand envers l’Europe. C’est en effet une séquence que nous avons vu se répéter un grand nombre de fois depuis le début de la crise grecque en mars 2010 : l’Allemagne, dans un premier temps, se dit favorable à la cohésion européenne et à l’euro ; puis, méthodiquement, elle empêche la mise en place de solutions capables réellement d’endiguer la spéculation des marchés contre les dettes des Etats fragiles pour leur donner le temps nécessaire à la mise en place de leurs réformes. Le résultat de cette attitude est une aggravation permanente et une contagion incessante, comme par « à coup », de la crise de la dette aux autres pays européens.

La très importante réunion européenne du 26 et 27 octobre dernier, et celle, mondiale, du G20 qui s’en est suivi les 3 et 4 novembre, nous ont montré, une fois de plus, un exemple de cette séquence de plus en plus dévastatrice. Séquence dont la répétition inlassable depuis près de deux ans, nous fait rester sceptiques sur l’avenir de l’euro et de l’Europe.

 


Les données du problème de l’euro

La seule solution pour permettre aux Etats fragiles de la zone euro, de mettre en œuvre dans la durée les réformes nécessaires, consiste à leur en donner le temps. Or, disposer de ce temps implique d’abord de rassurer les investisseurs qui prêtent encore aux Etats européens, sur le fait qu’à la fin, ils seront remboursés.

En effet, en l’absence d’une telle assurance, les prêteurs cesseront immédiatement de prêter aux Etats européens, ou bien ils exigeront immédiatement des taux d’intérêts beaucoup plus élevés. Or, de tels taux d’intérêts en forte augmentation suffisent à condamner d’avance tous les efforts des Etats en difficulté : l’augmentation constante de la charge que représente le paiement de ces intérêts amène mécaniquement les Etats déjà surendettés vers un défaut de paiement. Et, parallèlement, la « quasi-certitude » de la faillite de ces Etats déclenche alors immédiatement des « attaques » spéculatives sur ceux-ci – ce qui aggrave encore plus leur situation.

En outre, toujours en l’absence de l’assurance, pour les prêteurs, d’être remboursés, les risques de faillite d’un Etat fragile contraint les autres Etats de la même zone monétaire, moins fragiles, à s’endetter (se fragiliser) pour s’efforcer de « sauver » le premier. Et, finalement, cette absence d’assurance fait tomber petit à petit, les uns après les autres, les Etats de la zone euro dans la situation décrite au paragraphe précédent : hausse des taux d’intérêts, attaques spéculatives, et, finalement, difficulté à trouver des prêteurs, et puis,…faillite, naturellement. Et ainsi de suite.

 


La réunion européenne du 26 et 27 octobre 2011

La très importante rencontre Sarkozy – Merkel des 26 et 27 octobre 2011 aurait dû nous fournir définitivement cette assurance et mettre un terme immédiat aux attaques spéculatives contre les Etats de la zone euro (hors Allemagne), à la hausse des taux d’intérêts, à l’aggravation de situations budgétaires déjà critiques,…et mettre un terme à la contagion de la crise de l’Etat le plus fragile (la Grèce) vers les autres Etats.

Aucun pays européen ne veut, ni ne peut d’ailleurs, porter le fardeau des coûts que représenteraient un sauvetage des autres pays européens – sauf à se mettre lui-même en situation à haut risque.

Alors, quelle est-elle cette assurance qui, d’un coup, résoudrait tous les problèmes immédiats de l’Europe ? Cette assurance consiste en le financement du FESF et des Etats directement par la BCE, par de la création monétaire. En effet, la création monétaire d’une banque centrale est théoriquement illimitée. Et, parce qu’illimitée, elle signifie immédiatement aux marchés que, 1) de toute façon, les prêteurs aux Etats seront remboursés à la fin (on créerait de la monnaie pour cela, en cas de difficulté), 2) que, donc, toute attaque spéculative serait inopportune et vaine, 3) enfin qu’il ne faut pas anticiper de hausse des taux d’intérêts liée au risque de défaut des Etats. Que notre Europe serait tranquille, avec une telle assurance !

En outre, il est important de savoir que tous les Etats du monde (excepté ceux de la zone euro), peuvent faire appel à la création monétaire de leur banque centrale pour se financer : les USA, la Grande-Bretagne, la Suède, la Chine, la Russie, le Canada, etc., etc., etc…

Excepté la zone euro…

En effet, le fameux article 123 du Traité de Lisbonne l’interdit formellement. Et ce qui devait être un gage de sérieux dans la gestion publique des Etats européens se retrouve à être le levier par lequel on condamne les Etats à subir la loi des marchés.

La levée de cette interdiction a été demandée par la totalité des pays européens à l’Allemagne, pendant ces réunions.

Or, ce financement direct par la BCE a été, une nouvelle fois le 27 octobre, formellement refusé par l’Allemagne.

A cause de ce refus allemand, on s’est donc tourné vers la Chine, la Russie, le Brésil,…dont les réserves de changes sont considérables… pour quémander l’écot qui permettrait de financer urgemment les Etats européens…en échange, naturellement, de concessions plus ou moins importantes !

En vain, pour le moment. Puis, vers le FMI. En vain pour le moment. Puis sont venues les conséquences immédiates… :

1) L’Italie, quatrième dette la plus importante au monde, est violemment attaquée, ses taux d’emprunts à 10 ans ont franchi ces derniers jours la barre des 7% !!! Le gouvernement Berlusconi a dû démissionner en quelques jours…sous la pression des marchés.

2) La France est attaquée par les marchés presque immédiatement : en effet, en l’absence de possibilité de créer de la monnaie en cas de difficulté, l’assistance de la France à d’autres pays européens menace de lui faire perdre son déjà fragile triple A. Les taux d’emprunts français flirteront bientôt avec les 4%…(alors que les taux directeurs de la BCE sont à 1.25%…). Une agence de notation (S&P, pour ne pas la nommer) a même diffusé à ses adhérents l’annonce de la dégradation de la France et de la perte de son triple A… par erreur, nous a-t-elle dit. Pourtant, peu de temps après, une étude sur la solvabilité des Etats européens plaçait la France au 14ème rang sur 17 des pays européens, statut peu compatible avec le triple A… Cette étude a été largement diffusée par un journal…allemand… (A joindre au dossier : Maîtrise de l’information et influence sur les marchés…).

3) Et, ce qui devait arriver arriva : l’Espagne, ce jour, pour la première fois de l’histoire de l’union européenne, n’a pas réussi à trouver prêteur pour 3.5 milliards d’euros sur 18 mois, malgré des taux d’intérêts en très forte hausse… (5.63% !).

Et l’avenir ? Nous verrons… L’Italie doit trouver sur les marchés la modique somme de 300 milliards d’euros juste pour refinancer ses emprunts en cours à partir du printemps 2012. Si l’Espagne n’a pas trouvé 3.5 milliards d’€ aujourd’hui, en trouvera-t-elle 300 demain ? Et cela, sans que la BCE ne devienne prêteur en dernier recours puisque c’est le souhait de l’Allemagne ?

Tout ceci aurait pu être évité, selon l’avis même des plus grands économistes (Fitoussi et autres, dans le journal le Monde). Les appels internationaux à l’Allemagne pour qu’elle revoit sa position se multiplient, en provenance aussi bien du monde anglo-saxon, des USA, de la Suède, etc… En vain.

 


L’Allemagne bluffe-t-elle ?

C’est ici que nous retrouvons notre paradoxe du menteur. Il semble que les marchés américains notamment, et anglo-saxons, considèrent que l’Allemagne bluffe. Et, qu’au pire de la crise, elle cèdera aux injonctions d’une raison économique élémentaire, et d’une urgence politique et sociale absolue…elle cèdera… « comme toujours » entend-on parfois dans la bouche de journalistes ou d’analystes spécialisés.

Pourtant, plus ce refus du financement des Etats par la BCE dure, plus la crise s’aggrave, jusqu’à connaître, sous très peu de temps (si ce n’est déjà le cas), un point de non-retour… En effet, à ce jour, le FESF n’a déjà plus assez d’argent pour venir en aide, même un tout petit peu, à l’Italie ou à l’Espagne. Et les économistes considèrent en générale que lorsque l’emprunt à 10 ans passe les 6% de taux d’intérêt, le point d’irréversibilité est atteint : c’est un niveau de taux qu’on ne franchit qu’une seule fois. L’emprunt d’Etat italien a dépassé les 7% récemment.

Donc, « jouer » ce refus comme le fait l’Allemagne, s’il est joué, est terriblement contre-productif et extrêmement dangereux : il accroît encore le coût du sauvetage des Etats en difficulté, et condamne les efforts budgétaires aussi « sacrificiels soient-ils » de ces Etats à ne pas permettre de les sauver.

Si, au contraire, ce refus n’est pas « joué », et que l’Allemagne n’a réellement pas l’intention de céder sur le financement direct des Etats par la BCE en cas de situation difficile de marché, alors, vraiment, l’Europe dans sa géométrie actuelle ne durera pas.

Pour nous, dans nos portefeuilles, tant qu’il n’y aura pas de réponse à ce problème, tant que la zone euro (dans sa forme actuelle, ou bien, après exclusion d’un certain nombre de pays – dont on commence à parler…), tant que la zone euro, donc, n’aura pas retrouvé son pouvoir de se financer directement auprès d’une Banque Centrale avec le contrôle des politiques budgétaires qui doit accompagner ce financement, nous nous abstiendrons de considérer la zone euro comme une terre d’investissement.

 


Et ailleurs dans le monde…

Ailleurs, nous avons des surprises positives sur la croissance, notamment aux USA: le ralentissement économique ne semble pas devoir se transformer en récession mondiale.

Au sein des émergents, nous assistons à une croissance plus sereine, avec le dégonflement de la bulle immobilière en Chine, et la diminution des pressions inflationnistes – du fait du ralentissement économique des pays développés.

La consommation intérieure des pays émergents se développe dans les meilleures conditions possibles, et les marchés liés à ce thème ont enregistré une nette reprise au courant du mois d’octobre, malgré les craintes sur l’Europe.

Dans nos mandats patrimoniaux, nous maintenons, pour le moment, notre surpondération en obligation de pays solides : pays émergents, Suède, Australie – afin de profiter à terme de l’appréciation de leurs devises vis-à-vis des monnaies du G3 (USD, euro, yen), sans prendre trop de risque de marché…dans l’attente d’un éclaircissement de la situation européenne.

Au sein de notre mandat spécial n°1, dédié à la consommation intérieure des pays émergents, nos

indicateurs de tendances sont redevenus positifs, ces derniers jours, pour la première fois depuis fin janvier 2011. Nous attendons néanmoins la confirmation dans le temps de ces indicateurs, et nous procèderons à l’investissement des nos fonds.

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