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Vous envisagez de transmettre votre entreprise ? Différentes solutions s’offrent à vous afin d’alléger le coût fiscal de cette opération telle qu’une donation en nue-propriété par exemple. Parfois moins connu du grand public, il existe également des dispositions réglementaires spécifiques aux transmissions d’entreprises comme le Pacte Dutreil.
Le Pacte Dutreil
Ce dispositif permet de réduire de 75 % la base taxable aux droits de mutation à titre gratuit (les droits sont calculés sur 25 % de la valeur de l’entreprise) tant pour les sociétés (Code Général des Impôts – CGI, art. 787 B) que pour les entreprises individuelles (CGI, art. 787 C). L’exonération partielle est applicable en cas de donation ou de succession, en pleine propriété, en nue-propriété ou en usufruit.
L’exonération portant sur les transmissions de parts ou actions de société (article 787 B du Code Général des Impôts)
L’exonération à hauteur de 75 % s’applique aux titres de sociétés ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (y compris les titres de sociétés holdings animatrices de groupe), et aux titres de sociétés interposées (titres de sociétés détenant directement ou indirectement une participation dans la société dont les titres font l’objet du pacte d’associés).
Les principales conditions de l’exonération
Respect d’un engagement collectif de conservation
→ Principes
Les parts ou actions doivent faire l’objet d’un engagement collectif de conservation d’une durée minimale de 2 ans en cours au jour de la transmission, qui a été pris par le donateur, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit avec en principe au moins un autre associé (sauf si l’engagement est réputé acquis).
- Un associé peut conclure seul un engagement collectif de conservation des titres, sous conditions.
La durée de 2 ans s’apprécie de date à date à compter, selon les cas, de la date de l’acte s’il s’agit d’un acte authentique, ou de son enregistrement s’il s’agit d’un acte sous seing privé.
- Par exception, l’engagement peut être réputé acquis ou bien souscrit dans les 6 mois du décès par un ou plusieurs héritiers ou légataires (entre eux ou avec d’autres associés).
– L’engagement collectif est réputé acquis lorsque le donateur ou le (futur) défunt, seul ou avec son conjoint ou partenaire de Pacs, détient depuis 2 ans au moins le quota de titres requis et exerce (ou son conjoint ou partenaire) depuis plus de 2 ans dans la société son activité principale ou, si la société est soumise à l’impôt sur les sociétés, l’une des fonctions de direction énumérées à l’article 975 III 1 1° du CGI.
Par ailleurs :
◊ L’engagement collectif réputé acquis peut s’appliquer aux titres de sociétés interposées, dans la limite d’un seul niveau d’interposition.
◊ D’autre part, pour l’appréciation des seuils de détention requis, il est tenu compte de la participation détenue par les concubins notoires. L’un ou l’autre des concubins notoires peut exercer son activité professionnelle ou une fonction de direction dans la société.
→ Pourcentage de titres faisant l’objet de l’engagement de conservation
L’engagement collectif de conservation des titres pendant une durée de 2 ans doit porter sur un pourcentage minimal des titres, variable selon que la société dont les titres sont concernés est une société cotée ou non, à savoir :
- 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote lorsque la société est cotée,
- 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote lorsque la société n’est pas cotée.
Ces seuils doivent être respectés pendant toute la durée de l’engagement.
Les signataires de l’engagement collectif peuvent effectuer entre eux des cessions / donations de titres soumis à l’engagement collectif. Ils peuvent aussi admettre un nouvel associé dans l’engagement collectif mais alors l’engagement est reconduit pour une durée minimale de 2 ans.
Respect d’un engagement individuel de conservation
Chacun des donataires, héritiers ou légataires prend l’engagement dans l’acte de donation ou la déclaration de succession, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver les parts ou actions transmises pendant une durée de 4 ans à compter de la date d’expiration de l’engagement collectif ou à compter de la transmission en cas d’engagement collectif réputé acquis.
- Ainsi, chacun des associés doit, s’il veut bénéficier de l’exonération partielle, conserver ses titres pendant une durée, qui, cumulée avec la durée de détention couverte par l’engagement collectif de conservation, atteint 6 années minimum.
Exercice d’une fonction de direction
- L’un des associés ayant souscrit l’engagement collectif ou l’un des héritiers, donataires ou légataires doit exercer effectivement dans la société dont les titres font l’objet du pacte, pendant la durée de l’engagement collectif et pendant les 3 années qui suivent la date de la transmission, son activité professionnelle principale (s’agissant des société de personnes visées aux articles 8 et 8 ter) ou l’une des fonctions énumérées au 1° du 1 du III de l’article 975 du CGI (s’agissant des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option).
- La direction de la société ne doit pas être obligatoirement exercée par la même personne pendant ce délai, ce qui signifie qu’une nouvelle équipe dirigeante peut être désignée indépendamment de l’existence d’un pacte d’actionnaires.
Cumul avec la réduction de droits de 50 % en cas de donation
L’exonération de droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % de la valeur des titres se cumule avec la réduction de droits de 50 % prévue à l’article 790 du CGI en cas de donation en pleine propriété avant l’âge de 70 ans.
Déclarations auprès de l’administration fiscale
Une déclaration doit être réalisée en début d’engagement collectif et en fin d’engagement individuel.
Remises en cause de l’exonération
En cas de non-respect de la condition liée à l’exercice d’une activité principale ou d’une fonction de direction
Tous les donataires, héritiers ou légataires doivent acquitter le complément de droits de mutation à titre gratuit majoré de l’intérêt de retard.
En cas de non-respect de l’engagement collectif de conservation après la transmission, il faut distinguer les cas suivants
- Si la cession est réalisée par l’auteur de la transmission à titre gratuit et porte sur une partie des titres qu’il a conservés et qui étaient couverts par l’engagement collectif :
– Si la cession est réalisée au profit de signataires, alors l’exonération partielle n’est pas remise en cause pour le cédant auteur de la transmission.
– Si la cession est faite à un non-signataire, l’exonération est remise en cause.
- Si la cession est réalisée par le bénéficiaire de la transmission à titre gratuit :
– L’exonération est remise en cause que le cessionnaire soit ou non signataire de l’engagement collectif. En effet, le donataire, héritier ou légataire cédant ne pourra pas, du fait de la cession, respecter l’engagement individuel de conservation des titres.
En cas de non-respect de l’engagement collectif de conservation par l’un des héritiers, donataires ou légataires à la suite de la cession ou donation à un autre associé signataire du pacte d’une partie des titres qu’il a reçus à titre gratuit, l’exonération n’est remise en cause pour le cédant ou le donateur qu’à hauteur des seuls titres cédés ou donnés (sous réserve du respect des seuils de détention). Le complément de droits est ainsi limité aux seuls titres exonérés cédés ou donnés.
En cas de non-respect par un héritier, donataire ou légataire de l’engagement individuel de conservation
Celui-ci est tenu d’acquitter le complément de droits de mutation à titre gratuit, majoré de l’intérêt de retard. Par exception, l’exonération n’est pas remise en cause :
- En cas d’apport des titres à une holding constituée à cet effet et détenue en totalité par les héritiers, donataires ou légataires ayant souscrit l’engagement individuel (les conditions figurent au f de l’article 787 B CGI). S’agissant de l’apport des titres à une société holding :
– L’apport peut intervenir immédiatement après la transmission, durant la phase d’engagement collectif de 2 ans (et donc avant la prise d’effet de l’engagement individuel).
– Il n’est plus exigé que la holding d’apport soit exclusivement détenue par les bénéficiaires de l’exonération, les 3/4 au moins du capital et des droits de vote de la holding devront être détenus par les personnes soumises aux obligations de conservation des titres (et ce jusqu’au terme de l’engagement),
– Il suffit désormais que les titres apportés, soumis à l’engagement de conservation (collectif ou individuel), représentent plus de 50 % de la valeur réelle de l’actif brut de la holding (et ce jusqu’au terme de l’engagement),
– La direction de la holding doit être assurée par une ou plusieurs personnes soumises à l’engagement de conservation (collectif ou individuel), et ce jusqu’au terme de l’engagement,
– Il est également possible d’apporter à une holding les titres d’une société interposée (dans la limite d’un seul degré d’interposition). Dans ce cas, la valeur réelle de l’actif brut de la société bénéficiaire de l’apport (holding) doit être composée à plus de 50 % de participations indirectes dans la société soumise aux engagements de conservation.
- En cas de donation des titres à un descendant, lequel devra poursuivre l’engagement individuel jusqu’à son terme (article 787 B, i CGI).
L’exonération portant sur les transmissions d’entreprises individuelles (article 787 C du Code Général des Impôts)
L’exonération à hauteur de 75 % s’applique aux transmissions (donations, successions) de bien meubles et immeubles, corporels et incorporels, affectés à l’exploitation d’une entreprise individuelle exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Les biens affectés à l’exercice de l’entreprise s’entendent de ceux nécessaires à l’exercice de la profession (y compris les stocks).
Principales conditions de l’exonération
Condition de durée de détention
Une condition de durée de détention de l’entreprise est requise pour bénéficier de l’exonération si l’entreprise a été acquise à titre onéreux, l’entreprise doit avoir été détenue pendant plus de 2 ans par le défunt / donateur. Cette condition ne s’applique pas si l’entreprise a été créée ou acquise à titre gratuit.
Respect d’un engagement individuel de conservation
Chacun des héritiers, légataires ou donataires doit prendre, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, un engagement individuel de conserver pendant 4 ans à compter de la transmission les biens affectés à l’exploitation de l’entreprise. Même si le bénéficiaire de la transmission prend l’engagement de conservation pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, la donation de l’entreprise entraine la remise en cause du régime de faveur, sauf si elle est consentie à un descendant, lequel doit poursuivre l’engagement pris par son auteur jusqu’à son terme. L’exonération n’est pas remise en cause en cas de décès de l’héritier, du légataire ou du donataire, dès lors que ses propres héritiers ou légataires conservent les biens pendant la durée résiduelle de l’engagement.
La poursuite de l’exploitation de l’entreprise
L’un des héritiers, donataires ou légataires doit poursuivre l’exploitation de l’entreprise pendant les 3 années qui suivent la date de la transmission. Cette condition n’impose pas la poursuite de l’exploitation de l’entreprise sous forme individuelle ; les héritiers, donataires ou légataires peuvent lui préférer la forme sociétaire. Toutefois, l’administration pose certaines conditions :
- Les biens transmis doivent être apportés à une société créée à cette occasion, et détenue en totalité par les bénéficiaires de la transmission,
- Les héritiers, donataires ou légataires doivent conserver les parts ou actions reçues en contrepartie de l’apport jusqu’au terme de l’engagement individuel de 4 ans,
- La société doit conserver les biens apportés, sauf remplacement ou cession isolée d’un élément d’actif,
- L’un des héritiers, donataires ou légataires doit poursuivre l’exploitation de la nouvelle société.
Cumul avec la réduction de droits de 50 % en cas de donation
L’article 790 du CGI prévoit une réduction de droits de 50 % en cas de donation en pleine propriété avant l’âge de 70 ans, laquelle se cumule avec l’exonération de droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 %.
Formalisme et remise en cause
Déclarations auprès de l’administration fiscale
Une déclaration doit être réalisée en début d’engagement collectif et en fin d’engagement individuel.
Remise en cause de l’exonération
L’héritier, le donataire ou le légataire qui ne respecte pas l’engagement individuel de conservation devra acquitter le complément de droits de mutation à titre gratuit, majoré de l’intérêt de retard (dans le mois suivant la rupture de l’engagement). Si la condition de poursuite de l’exploitation n’est pas respectée, tous les héritiers, donataires ou légataires devront acquitter le complément de droits assorti de l’intérêt de retard.
En résumé
La cession d’une entreprise peut être optimisée en utilisant des dispositifs fiscaux avantageux tels que le Pacte Dutreil. Ce pacte offre une réduction significative de la base taxable aux droits de mutation à titre gratuit, que ce soit pour les sociétés ou les entreprises individuelles. Cependant, il est essentiel de se conformer aux obligations déclaratives auprès de l’administration fiscale et de respecter scrupuleusement les conditions pour éviter la remise en cause de l’exonération.
Maxence Dion
Ingénieur patrimonial
Groupe Quinze – Gestion Privée